par torrance' sur 05 Mar 2004 12:54
Certains jours, en connectant les quelques neurones qui nous servent encore à réfléchir, on peut atteindre un degré de conscience jusqu'alors laissé aux tréfonds de la connerie de masse et comprendre à quel point le message publicitaire, et le signal hertzien en général nous façonne en gentils robots cyniques dépourvus de bon sens.
Je m'explique.
Ces derniers temps, lors d'encarts publicitiaires censés s'ajouter à notre chère redevance, on peut voir un employé de bureau mettre à sac son plan de travail, gueuler sa révolte, dénouer sa cravate en signe de libération, cracher à la gueule du système, courir euphorique dans la rue, jetant sa malette aux ordures et se baignant dans une fontaine, tout en faisant des gros jets avec sa bouche du même coup infectée aux microbes urbains.
Alors que nous observons avec délectation ce grand moment de lutte sociale et d'affranchissement du mode de vie occidental réglé comme du papier à musique par
1/ l'école
2/ les parents
3/ le milieu social
4/ le message politique
5/ les études supérieures
6/ le capitalisme
(rayez la mention inutile)
badaboum, on a tout à coup la certitude que ce petit spot n'est pas présent pour vanter l'ermitage vers le Larzac pour traire les ovidés et baiser en réunions avec ses potes barbus et ses copines rurales, mais bien pour nous prouver la vacuité de toute révolte, de tout affranchissement.
Evidemment,alors que ce connard en costume tente de montrer qu'il peut refuser la vie telle que lui vend le capitalisme, une belle voiture passe devant lui.
Belle, rutilante, classe, racée, elle a tous les élements pour faire d'elle LA caisse du parvenu ayant enfin trouvé son but dans la vie : ramener les gonzesses et faire baver les voisins grâce à sa nouvelle Audi.
Alors le connard, qui par mégarde s'est trempé jusqu'aux os dans la fontaine, regarde passer la voiture et sa machoire pendante ainsi que ses yeux exorbités nous montrent bien que ce pauvre con a les bras ballants devant le produit. Lui aussi, aimerait ramener des gonzesses et faire baver ses gros cons de voisins. Lui aussi il veut frimer dans le parking de sa société avec son Audi éclatante.
Le pauvre connard, qui pendant 5 minutes avait réussi à dire merde au système et à s'en affranchir en un rituel des plus jouissifs, sort donc de la fontaine, retourne au bureau, reprend sa cravate et sa malette et fonce vers son plan de travail.
Le pauvre connard n'a pas l'air enchanté pour autant. Non. Le pauvre connard qu'il est est même plutôt mécontent et nonchalant. Il traîne les pieds, le con.
Car s'il retourne au boulot, ce n'est pas par envie, non. Mais parce que le slogan de la nouvelle Audi lui a tout dit :
"AVEZ-VOUS VRAIMENT LE CHOIX ?"
Le pauvre con sait qu'il n'a pas le choix. Il sait qu'en bon citoyen du monde libre et riche, il doit obligatoirement afficher sa condition financière, sociale, professionnelle, sexuelle avec ostentation, et si possible, une ostentation portant le signe de la marque. Et du triomphe du capitalisme à outrance.
En regardant cette pub entre l'escalope et la Danette, le choc est violent, quasi anaphylactique. La pub nous dit gentiment :
[i]"Toi, jeune homme ou femme, ne pense même pas nous échapper. Ne pense même pas que tu pourras éviter le système que tes parents ont créé en rejetant leurs idéaux 60's hippies rock'n'roll flower power. Ne crois pas que tu peux aussi facilement cracher à la gueule du système. Tu appartiens au système et franchement, si tu crois avoir le choix, tu es aussi con que ce pauvre connard faisant barbote dans une fontaine.
Non, TU N'AS PAS VRAIMENT LE CHOIX"[/i].
En substance.
Voilà comment un spot d'une trentaine de secondes, analysé sommairement en quelques lignes, nous montre où se trouve notre futur. Dans le mur. Car ces messages assénés à tous, du plus jeune au plus vieux, finissent par créer de nouveaux inconscients collectifs de plus en plus agressifs, dérivés nauséabonds du rêve américain ou du glamour à la française.
Dorénavant, nous savons que si nous regardons ce genre de messages sans nous rendre compte de leur profond irrespect pour notre libre arbitre, de leurs sens subliminaux à peine cachés, nous n'avons plus qu'une chose à faire.
Devenir des robots cyniques.
(Et fêter la St Valentin.)
Je pourrais aussi m'insurger sur la façon dont les voitures se prennent pour des "légendes vivantes" et salissent l'image de génies de tout rang, mais là, je crois que je finirais par vomir.
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