[Conte] LE SABRE DE L’AIGLE

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Modérateur: Amrith Zêta

[Conte] LE SABRE DE L’AIGLE

Messagepar Talbazar sur 08 Fev 2005 15:09

[color=darkred]Cherche critique d'un conte héroic Fantazy : je reconnais qu'il est difficile d'apprécier un texte sur un forum, mais pour tous les courageux qui voudront bien m'apporter leurs lumières, merci ![/color]

[i]A
LA PORTE DES MAUDITS
LE BIEN-COMMUN SE HEURTERA SANS DOUTE
L’INITIÉ L’ELIRA PEUT-ÊTRE
L’OCCULTE LA TIRERA SÛREMENT[/i]

[size=150][b]PREMIÈRE PARTIE

LE SABRE DE L’AIGLE[/b][/size]

Traduction de l’ancien dialecte par un scribe anonyme de l’Ile d’Aoz.
Premier rajout au livre d’Armoud.
Chroniques païennes du livre d’Armoud.


[b]CHAPITRE 1
Le seigneur d’Ukbar[/b]


[i]Oberayan
Ho ! grise fille d’Anyg
Socle d’airain de nos parents
Surgissant comme une langue osée
Hors de la gueule des eaux interdites
Refuge sacré des pères de nos mères
Tu trouve dans l’océan sans fin
Un écrin bleu enfin à ta taille
Les princes d’Ukbar se lèvent à ta gloire
Et le soleil verse sur toi ses cils d’or
De ton donjon puissant
Six cents guerriers unis
N’en feraient pas le tour
L’aigle chéri réfugié sur ta pierre solide
Pose sur ta crypte ses ailes engourdies
Les eaux profondes et vertes
Qui dorment sous tes pieds
Se tordent en serpents blancs
Sur tes plages adorées si douces
Elles te cachent à nos vues
Et triomphent des temps
Livre de Moud-chant III d’Oberayan[/i]


En ces temps lointains, un improbable et téméraire marin naviguant dans les eaux interdites de la vaste mer d’Anyg eût été enthousiasmé en apercevant devant sa proue la majesté du site d’Oberayan. La citadelle, noyée de brumes, se dressait sur le sommet d’une île ceinturée de vastes plages granulées de sable blanc et fin. Assaillie par des centaines de mouettes argentées qui trouvaient asile dans ses rochers fouettés par l'écume, la cité d'Oberayan flottait sur la mer grise comme un gigantesque navire. Le haut donjon du château d’Umesh Nader, s’élançant très haut dans le ciel opaque, identique au mât d’un vaisseau de légende, renforçait encore cette illusion. Derrière l’île, dans le vaste lointain, un mince ruban sale à peine visible indiquait au regard la présence d’un gigantesque continent boisé qu’on appelait la forêt d’Obyn : notre hypothétique étranger eut dit que le ciel et la mer se rejoignaient à cet endroit précis pour marquer leur frontière respective de la silhouette déchiquetée des grands cèdres. En abordant l’île-citadelle d’Oberayan, ce navigateur égaré aurait pu s'imaginer accoster un rêve...
Le chevalier Pheder Ursinis ferma la lourde porte en chêne sculpté de la chambre unique qu‘il louait au pied des remparts. Il plaça soigneusement la clé dans sa cache habituelle, entre deux poutres, puis descendit ensuite sans hâte les degrés de pierres usées qui menaient dans la rue. Les yeux immensément bleus, ses longs cheveux blonds nattés pour l’heure en un gros chignon à la mode de l’île, Pheder remonta le col de sa cape sur son beau visage régulier. De taille moyenne, musclé par un patient travail, il possédait la prestance que donne souvent malgré soit l’assurance de sa notabilité. Une pâle lueur éclairait la première heure du jour et la plupart des échoppes étaient encore fermées, pourtant Phéder croisa quand même quelques rares personnes somnolentes, auxquelles il rendit leur hommage d’un bonjour machinal et courtois de sa voix douce et amicale. La convocation du maître d’armes Ushidi qu’il venait de recevoir la veille le troublait. Mal à l’aise, il leva la tête pour observer le massif donjon du château surplombant la ruelle qui se libérait avec peine du brouillard matinal, comme en témoignait la vaste écharpe vaporeuse attardée à ses créneaux. Une nuée indisciplinée de pigeons prismatiques bataillait le long des hautes murailles. Ramenant contre lui les larges pans de son épaisse cape tissée de laine orange, Pheder sentit l’air frais du petit matin le mordre sous sa tunique de soie rose. Il frissonna, mais ce n’était pas seulement de froid...
Le Livre de Moud fixait le nombre d’habitants d’Oberayan à soixante-dix mille personnes. Ces dernières appliquaient à la lettre chaque prescription du Livre sacré, conservé religieusement dans la crypte des Saints Ancêtres. Car toutes choses résultent de la loi, immuable et éternelle. Le Livre de Moud constituait la loi et la loi disait ceci:

Du sang passé jaillira le sang futur.

La conséquence pratique de cette maxime était le parrainage sacré d’un ancien pour chaque enfant à naître. A la naissance de celui-ci, un vieillard se donnait la mort de façon rituelle, pour que l’esprit de l’ancêtre transmette sa protection au nouveau-né. Mis à part le roi, seul de son cas, le maître d’armes Ushidi échappait à la règle. Il devait son grand âge à cette autre maxime de Moud :
La paix naît de l’expérience et l’expérience naît de la guerre de Moud.

De loin l’homme le plus vieux de l’île, Ushidi résumait à lui seul les antiques traditions guerrières d’Oberayan. Isolée du reste du monde, l’île-citadelle vivait en paix depuis dix siècles, époque oubliée où elle triompha du siège que lui fit subir la légendaire armée d’Anamaying. On pouvait lire le récit de cette victoire dans la partie historique du livre de Moud, mais plus personne aujourd’hui ne croyait encore à l’existence d’Anamaying, et il ne s’agissait tout au plus pour les gens que d’un lieu mythique à la gloire imaginaire. Quarante chevaliers désignés par le maître des armes entretenaient pourtant encore le savoir désormais inutile des coutumes guerrières venues des ancêtres, et la nomination des chevaliers comme l’enseignement donnés par Ushidi ne souffraient aucune contradiction. En vérité nul n’y songeait une fois élu, car le destin de chevalier sacralisait pour les gens de ce royaume une position hautement honorifique et très convoitée. Pheder, qui dirigeait ses pas à la rencontre du vieux maître se rappelait lui-même ce jour de son enfance où il avait été lui-même élu... :
La constitution physique de l’enfant Pheder ne semblait pas lui promettre un tel honneur. Dans ce monde, privé de toute guerre, la jeunesse mâle du pays développait paradoxalement dans ses jeux une indéniable agressivité. Fragile, Pheder perdait toujours lorsqu’il luttait avec ses camarades, beaucoup plus robustes et vindicatifs que lui. A cette époque, il maudissait souvent son esprit tutélaire, qu’il rendait responsable de la fragilité de son corps, ployé de honte sous les sarcasmes et les quolibets de ses jeunes assaillants. Mais il n’avait jamais refusé le moindre défi. Cette attitude peu commune lui avait valu l’intérêt du Maître d’armes Ushidi.
Tout en marchant, Pheder revoyait avec une précision aiguë ce jour où le maître déjà blanchi par les ans s’était approché du groupe de gosses braillards et belliqueux qui se défiaient constamment dans la cour extérieure du château. Un des jeunes pages nommé Erkall Led, qui travaillait aux écuries, avait entreprit de rosser Pheder avec plus de fougue que n’en avait jamais mis aucun de ses adversaires... Les deux chenapans s’étaient affronté sur un tas de paille fraîche entassée contre le mur d’une grande bâtisse. Pheder, maintenu au sol par cet Erkall Led, résistait de son mieux à une terrible pression exercée sur ses épaules et ses genoux. Saignant du nez, haletant et suffoquant sous la pression brutale exercée sur sa poitrine, Pheder vit son vainqueur entreprendre de parfaire son triomphe... Un filet de salive s’échappait des lèvres du garçon roux en direction du visage de Pheder. Fort heureusement ce geste humiliant fut contraint, car la poigne de fer d’Ushidi avait saisi l’autre par le col, épargnant à Pheder une terrible souillure. Considérant l’homme qui le privait de sa victoire facile, Erkall Led avait pris ses jambes à son cou, suivi des autres garçons éberlués de cette intervention anachronique; car les adultes ne se mêlaient jamais des querelles de leurs fils. Le propre père de Pheder n’eut pas songé une seconde à secourir celui-ci. On laissait d’ailleurs tout faire aux enfants d’Oberayan, sauf désobéir à la loi des ancêtres, la Parole de Moud. A la suite de cet incident, Ushidi fit beaucoup plus pour l’enfant, car contre toute logique il adouba chevaliers Pheder ainsi qu’Erkall le jour même. L’obéissance aux coutumes, un fait sacré sur Oberayan, impliquait d’obéir au maître des combats, et le trahir eut été une conduite impardonnable, sévèrement sanctionnée. Par conséquent, Pheder dût se soumettre et considérer l’apprentissage de la guerre comme l’essence de sa future éducation, et dès lors, intronisé par le roi lui-même à la «guilde des quarante», il dut se rendre quotidiennement à la salle d’armes du château. Sous les hautes voûtes de celle-ci il se familiarisa avec l’épée, symbole de son rang, mais aussi avec la lance, l’arc et la redoutable hache de jet.
Loin d’être fier de son sort, comme l’aurait été n’importe qui, Pheder avait le cœur déchiré et détestait cette science, d’ailleurs teintée de beaucoup d’ésotérisme, car comme par le passé il continuait de rouler dans la poussière à chaque corps à corps. Le maître Ushidi ne lui tenait pas rigueur de ses défaites perpétuelles, parce que Pheder appréhendait son enseignement avec tout le sérieux possible et se montrait aux exercices de tir un brillant élève. Sa flèche atteignait toujours sa cible, le javelot traversait toujours le mannequin de paille, la hache brisait une écuelle à cent pas; mais en présence d’un adversaire réel Pheder perdait toute velléité de vaincre et l’issue des tournois lui était toujours défavorable... Erkall Led, quand à lui, passait son temps à vaincre.
Les années s’écoulèrent ainsi, dans la monotonie des jours d’entraînement, sans qu’il eut remporté une seule joute. Il portait l’épée, la cape orange des chevaliers, mais n’en tirait aucune gloire et restait un garçon taciturne. Il se plongeait des nuits entières dans la lecture du Livre de Moud, de mémoire d’homme le seul livre jamais écrit et lu dans l’île-citadelle. Pheder se promenait aussi pendant de longues heures, solitaire, sur les remparts du château pour scruter la mer immense qui semblait l’appeler par son propre nom. Les crises cycliques d’amertume profonde qu’il ressentait dans ces funestes instants n’avaient rien de commun avec le sentiment de sa faiblesse aux jeux guerriers. Il devenait alors le jouet d’un mal profond, indéfinissable, qui ne tenait en rien à son orgueil blessé. Souvent, assis seul sur la plage, il essayait de comprendre, d’endiguer par la raison ce sentiment de frustration qui le tenaillait férocement d’un tenace étau épisodique. Dans ces instants maudits, une mélancolie têtue s’emparait de son être et il n’aurait pu expliquer cette lourdeur étrange qui envahissait sa poitrine, comme si l’Oberayan, la merveilleuse terre des ancêtres, tentait sournoisement de l‘étouffer.
Aujourd’hui, des années plus tard, Pheder marchait vers son rendez-vous avec le vieux maître en se rappelant, rempli de nostalgie, les heures enfuies de sa jeunesse. Il ralentit l’allure en passant devant une taverne aux murs peints très récemment de fresques aux couleurs vives, dont le thème principal représentait une scène de pêche mouvementée. De la porte largement ouverte s’échappait une appétissante odeur de sardines grillées, il entra pour s’asseoir près de l’âtre où deux énormes bûches de chêne achevaient de se consumer. Une servante s’approcha en lui rendant son salut; s’essuyant d’un geste rapide ses mains mouillées sur son tablier. Le chevalier lui commanda deux poissons et un pichet de ce vin excellent que produisaient les vignobles d‘Ukbar. Par l’ouverture d’une seconde pièce enfumée il distinguait la servante retournée à présent cuire des galettes de seigle sur une grande plaque de bronze posée sur les braises. Quand Pheder eut terminé son repas, une bonne chaleur affluait dans ses membres, chassant l’impression de froid ressentit tout à l’heure. Mais, alors que ses lèvres se posait sur le bord du pichet, les images du passé s’imposèrent une nouvelle fois à lui :
Il entrait dans sa dix septième année et le maître d’armes l’avait fait mander, exactement comme aujourd’hui... Il l’avait alors trouvé assis en tailleur sur le parquet ciré de la chambre austère qu’il occupait près de la salle d’arme. La porte ogivale se trouvait grande ouverte, ce qui lui évita de frapper. Le visage acéré d’Ushidi portait déjà les marques de l’âge, lesquelles soulignaient chacune de ses expressions d’un masque sévère. En tournant la tête vers Pheder il s’était mis à parler de sa voix encore puissante, habituée à commander :
_ «Voici quelque temps, j’ai changé ta destinée. Sans mon aide tu serais potier, car tu es fils de potier !, mais tu portes le titre honorable de chevalier, Pheder Ursinis !... »
Le maître avait volontairement appuyé la voix sur le nom du jeune homme. Ce dernier ignorait alors ce qu’allait signifier pour lui l’entretien et se contentait de scruter avec une insistance déplacée les doigts noueux d’Ushidi, lequel lui lançait en parlant son regard de faucon.
- «On peut dire de toi que tu es l’éternel perdant, Pheder, et je ne te connais pas d’amis... »
Accompagnant les paroles du maître, la cloche de la crypte des « Saints Ancêtres » s’était mise à sonner. A cet instant, Ushidi s’était levé en époussetant la longue robe jaune qu’il portait habituellement, comme l‘insigne le plus évident de son rang :
-_ « Tout est doué de vie, jeune chevalier! Les chevaux, les djinns, les démons, les arbres, les hommes, évidemment, mais aussi la mer, la forêt d’Obyn, et même les montagnes, les pierres... Toi, aimes tu la vie, Pheder Ursinis ? »
La question n’appelait pas de réponse. Ce n’était qu’une simple mise en condition de l’ancêtre vivant. Pourtant l’incongruité d’une telle phrase dans la bouche du chef de guerre heurtait la sensibilité de Pheder. Impressionné, ses genoux s’étaient involontairement mis à trembler. Ushidi avait aussitôt enchaîné :
- « J’ai bu aux sources vives de nos ancêtres et j’ai peut-être trouvé le moyen de me mettre en paix avec ce monde. L’Oeil de Moud t’as désigné à moi, chevalier, pour accomplir sa volonté. Tu seras le prochain seigneur du domaine d’Ukbar...»
Il avait laissé un temps d’arrêt pour bien faire pénétrer le sens de ses paroles dans l’esprit de Pheder, avant de reprendre :
- « Ou tu mourras ! »
Lorsque le chevalier comprit toutes les implications des paroles qu’il venait d’entendre, il ressenti un profond malaise. Il n’existait qu’un seul domaine d’Ukbar, seule possession du grand roi Umesh Nader en dehors de l’île-citadelle. Située à quatre heures de marche du rivage, empiétant sur la forêt d’Obyn, la forteresse et ses terres traçaient les limites du monde connu d’Oberayan. Le Livre de Moud expliquait qu’Ukbar avait repoussé avec succès les dernières attaques d’Anamaying, dans les temps les plus reculés. La charge royale d’Oberayan était héréditaire mais la possession du fief d’Ukbar s’obtenait selon un rituel immuable et simple, aussi ancien que le Livre sacré lui-même. Il impliquait un combat mortel entre un champion d’Ukbar et l’un des quarante chevaliers de l’île-citadelle. Le maître d’armes choisissait seul les deux adversaires. Au-delà des murs d’Ukbar, s’étendait à perte de vue la véritable forêt d’Obyn, dont nul n’était jamais revenu vivant à ce jour. Aussi, le fait qu’Ushidi ait choisi Pheder pour remplir le rôle du champion d’Oberayan remplissait le pauvre garçon de terreur...
Toujours assis sur le banc de bois de la taverne, le chevalier finissait le contenu de son pichet, quand il appela la servante pour qu’elle le remplisse à nouveau. Après s’être acquittée de cette tâche, la jolie jeune fille s’éloigna ensuite pour remettre une nouvelle bûche dans l’immense cheminée, où de hautes flammes s’en emparèrent; crépitant et projetant sur la pierre noircie de l’âtre une pluie d’étoiles éphémères. Un adolescent aux cheveux blonds pénétra dans la pièce, portant devant lui un panier de légumes. Il rejoignit la serveuse dans l’autre pièce, échangeant avec elle quelques plaisanteries qui échappèrent à Phéder. Ce dernier, de nouveau seul, laissa ses pensées reprendre leur cours. L’alcool agissait dans son cerveau et les paroles d’Ushidi résonnaient dans sa tête avec la même force qu’autrefois :
- «Seul un des deux champions désignés par moi gagnera la clé du château d’Ukbar! avait dit Ushidi. Le valeureux Arbam Nok qui la tenait jusqu’à présent vient de sacrifier à Moud son vieux corps, et je connais déjà celui contre qui tu devras te battre, par la hache et l’épée... »
Entendant ces mots, le corps adolescent de Pheder s’était secoué de spasmes invisibles qu’il s’était efforcé de contenir. Le maître qui semblait n’avoir rien vu avait repris :
- «Ce jour même j’envoie une délégation pour informer Ukbar de mon choix. En vérité, tu vaincras, cette fois, Pheder Ursinis, où tu perdras ta vie! »
Tout avait été dit. Alors un homme, que Pheder dans son trouble n’avait pas vu venir, s’était approché sur un signe du maître, qui parlait toujours à Pheder :
- «Tu as trois jours pour connaître la peur, chevalier, cet homme les passera avec toi jours et nuits. »
Pheder occupa le reste de cette funeste journée d’autrefois avec ses compagnons, dont aucun ne commenta le choix du maître. Mais tous pensaient que Moud accablait Pheder d’un sort cruel, tous unanimement convaincus de sa mort prochaine. Même l’enjeu du duel, le trône d’Ukbar, ne rendait pas jaloux les plus ambitieux. Toutefois, pour une étrange raison, Pheder ne ressentait aucune peur, et l’entraînement qu’il effectua pendant ces trois jours fut un des plus radieux qu’il eut jamais connu. C’est à peine inquiet qu’il se rendit au matin du troisième jour chez Ioginos, le forgeron, pour y faire affûter son épée. Il était animé d’un étrange sentiment de libération, n’avait-il pas plusieurs fois appelé la mort sur sa tête au cours de ses funestes crises?
Au moment où ses camarades émus lui sanglèrent sur le corps son armure, une sorte de solide corset de cuir clouté, il remercia Moud d’avoir fait fuir toute crainte en lui. Le roi Umesh Nader était venu la veille l’assister dans ses prières. Il avait remit lui-même ses cadeaux : le grand bouclier de bronze et le casque à ailette que ceignaient les champions. L’écu un peu trop lourd pour le bras de Pheder, s’ornait de l’aigle rouge, symbole immémorial d’Oberayan. Le combat devait se dérouler sur la plus grande plage de l’île où l’on avait tracé sur le sable un large cercle à l’intérieur duquel les armes allaient parler. Il était interdit aux concurrents de franchir ce périmètre. Au pied du mur d’enceinte de la cité, des gradins avaient été dressés à la hâte.
Disséminés sur ceux-ci une foule houleuse s’agitait, hypnotisée par la perspective d’assister à une lutte qui exigeait la mort du vaincu. Le roi Umesh Nader, la reine Kalash et ses dames d’honneur, trônaient ensemble sous un dais d’honneur cramoisi situé en face du cercle rituel. Celui-ci se dessinait clairement sur une portion de plage découverte par la marée mais, située en deçà de la zone d’estran, elle finirait par être inondée. Le combat devait s’achever impérativement avant que le cercle ne soit effacé par les eaux. Ainsi décidait Moud. Sur cette grève en habit de fête, apparurent enfin les juges diseurs, les porte-bannières des deux camps, le maréchal, les connétables et les guildes. Le chevalier Pheder s’était avancé au milieu du rond, la hache à la main. C’est au moment précis où son adversaire vint à sa rencontre que Pheder connu un sentiment de panique : une femme s’avançait vers lui, la hache brandie. Elle faisait partie de la terrible garde d’amazones du domaine d’Ukbar. Son allure effrayante annonçait la lutte et une farouche détermination se devinait dans son regard, celle de prendre au plus vite la vie de Pheder. Son armement, le même que celui du jeune chevalier, n’avait pour seule différence d’être orné sur l’écu d’une feuille de trèfle, ralliement du fief d’Ukbar. La femme, surentraînée et prête à tuer, possédait une musculature qui dépassait presque celle de Pheder. Il prévoyait qu’elle serait redoutable.
L’introspection s’arrêta là car la hache de l’amazone arrivait en sifflant vers son visage. D’instinct, Pheder releva son bouclier qui résonna violemment et se plia sous le tranchant de la lame. Sous le coup, le bord de l’écu avait heurté violemment son front, en le faisant saigner abondamment. Sonné, aveuglé par son propre sang, Pheder se releva sans contre-attaquer pour reculer vers le bord du cercle, décontenancé par une attaque aussi soudaine. Sans le quitter un seul instant des yeux, l’amazone alla reprendre sa hache, ébréchée par le choc. Un instant muettes, les crécelles déçues d’Oberayan répondirent au vacarme triomphal des partisans d’Ukbar. « Il n’est pas plus facile d’endiguer le flot de ses pensées que d’endiguer les battements de son cœur », disait Ushidi. L’amazone se rua en avant, l’œil fixe. Elle bataillait ferme, moulinant sans faiblir sa hache entamée avec science et justesse, car chaque coup portait. Le bouclier de Pheder résonnait de cette hargne, produisant de sinistres bruits d’enclume. Comme à chacun de ses combat, il douta de sa victoire.
Dans un pas de danse fatal, la guerrière enragée se rua vers Pheder, qui ne faisait que parer les assauts, provoquant l‘excitation du peuple d‘Ukbar. Les actions brèves succédaient follement aux longues parades obligées et las du chevalier, car ce duel équivoque fatiguait les deux adversaires, mais l’amazone semblait bien prendre enfin l’avantage. « Soit libre comme le vent qui ignore Moud, éteint le feu aux torches des autels et croule les statues »… Ushidi parlait toujours à l’esprit violenté de Pheder qui suait sous le poids de son heaume. Toute notion du temps se perdait dans ce combat épuisant. L’amazone allait de l’avant, craquant son cuir et portant vilainement des percussions terribles, cherchant la faille et le massacre, reculant rarement. En force, de toute sa puissance encore possible malgré sa fatigue, Pheder répondait malgré tout, voyant ce combat se terminer tragiquement pour lui, avec un prix mortel. La joie survoltée des spectateurs résonnait sur la plage durement labourée, grisant l’amazone qui se voyait déjà facilement vaincre.
Pheder saisit sa faible chance en bondissant désespérément sur la femme, dont la souplesse s’avérait incroyable malgré le poids du fer qu’elle portait. Il tendit sa lourde hache, les poings serrés sur le manche de buis, dans une concentration totale de son corps et de son âme. Riant presque, la guerrière esquiva en parant le coup facilement, et sa propre hache rencontra celle de Pheder en lui faisant dangereusement lâcher prise. Désemparé par cette maîtrise de l’amazone qui le dominait si aisément, le jeune homme recula rapidement, échappant à la mort, puis il tira vivement son épée du fourreau. Le contact de la longue lame le rassura un instant, pendant qu’un étrange phénomène prenait naissance dans son esprit. Il voulait vivre. Quelqu’un, très loin, semblait le vouloir. Moud était la force et Moud était en lui. l’énergie multipliée par cette transcendance, il s’élança sur la championne d’Ukbar l’épée en avant. Le fer enfin décidé du chevalier glissa plusieurs fois sur l’armure de l’autre sans l’entamer, surprenant pourtant la guerrière étonnée de ses chocs redoutables. Alors le triomphe vint enfin à lui, au milieu de ces coups violents qui se neutralisaient réciproquement. Le cri qui s’échappa de la gorge du chevalier n’avait rien d’humain, cela semblait la voix même de Moud, quand il avait dans les temps révolus de l’histoire du monde, vaincu sa puissante rivale, Ar d’Anamaying. La vigueur inimaginable de ce cri pourtant bref eut sur l’amazone l’effet d’un fouet. Paralysée par la vibration surnaturelle elle ne put réagir et la lame de Pheder pénétra sa gorge en la traversant de part en part. Elle mourut avant de toucher le sol.
« Le silence qui suivit put s’entendre ». Ainsi déclara Ushidi à Phéder le lendemain de sa victoire qui privait le domaine d’Ukbar d’une amazone sur son trône. Mais Pheder n’eut pas le souvenir des heures qui suivirent. Il avait perdu trop de sang de sa blessure et s’était écroulé, épuisé, sur sa victime presque aussi mort qu’elle.

Moud ne vous donne pas sa force sans prendre la vôtre

N’était-ce pas écrit dans le livre ?
Talbazar
 

Messagepar Mad sur 08 Fev 2005 19:06

Eh eh ;) Bienvenue à toi Talbazar (je ne te redonne pas mon avis, hein... ;) )
[b]Mad : [url=http://www.eapoe.org/works/tales/mystfb.htm]R. von Jung[/b][/url]
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Messagepar Talbazar sur 08 Fev 2005 19:45

Salut Mad :wink:
Talbazar
 

Messagepar Guigui sur 08 Fev 2005 20:20

[quote="Talbazar"]Salut Mad :wink:[/quote]
Ce genre d'intervention est plutôt mal vu sur le forum : écrire un post pour seulement 2 mots pour un message personnel ne passionne pas les foules : je te conseille d'utiliser les messages privés car c'est fait pour ça. D'ailleurs consulte ta boîte de messages privés en haut à droite de la page.

Sinon pour ma part, je n'aime pas l'héroic fantaisy, donc ma critique ne sera pas très utile :)
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Messagepar Mad sur 18 Fev 2005 21:46

Je l'ai lu ce premier chapitre il y a quelques semaines et voici quelles avaient été mes premières réactions :
Tout d'abord, je dois dire pour être honnête que je n'ai jamais lu d'Heroïc Fantaisy :oops: D'un côté, je ne pourrai donc pas te dire si ton style est pile dedans ou non. Mais d'un autre côté au moins, je ne suis pas influencée par une quelconque comparaison.
Tu écris bien, il y a de belles descriptions, les personnages , enfin, Pheder surtout, sont très bien "sculptés", je veux dire, décrits aussi... on entre dans son (à Pheder) esprit, on ressent ses craintes, ses émotions, ses faiblesses et puis sa détermination par l'intermédiaire de Moud.
Les flash back sont plutôt cinématographiques :wink:
[b]Mad : [url=http://www.eapoe.org/works/tales/mystfb.htm]R. von Jung[/b][/url]
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Messagepar Talbazar sur 19 Fev 2005 9:47

Je ne sais plus si je dois dire merci ! :?
Talbazar
 

Messagepar Guigui sur 19 Fev 2005 14:16

[quote="Talbazar"]Je ne sais plus si je dois dire merci ! :?[/quote]
Mais si, faut pas exagérer : c'est pas le bagne ici quand même...

Sinon, bon ben je l'ai lu et comme je m'y attendais je n'ai vraiment aucun plaisir à lire ce genre d'histoire qui m'endort plus qu'autre chose. Ya rien à faire l'Heroic fantasy ça me fait pas mal chier. Tu n'y es pour rien, car comme le dit Mad tu écris et décris bien, dans la lignée de Tolkien (c'est peut être pour ça que je trouve ce genre si emmerdant)... Donc en résumé c'est vraiment pas mal, mais franchement j'acrcoche pas... J'avais prévenu que mes commentaires seraient pourris et n'amenaient à rien... En même temps vaut mieux des commentaires pourris que pas du tout sans doute ;)
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Messagepar Talbazar sur 19 Fev 2005 14:46

en tout cas je te remercie de m'avoir lu et je post pour des critiques, pas pour des éloges inconditionnels
moi c'est le genre biographie d'Elodie Gossuin qui me tane les oculaires ! :wink:
Talbazar
 

Messagepar Mad sur 20 Fev 2005 13:50

Ah ça existe la bio d'Elodie Gossuin ?! :shock:

Bref, qui d'autre a lu ce premier chapitre ? Sir_Ill, je sais que tu lis de l'Heroic Fantasy.
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Messagepar Sabaha_K sur 20 Fev 2005 19:58

C'est pas mal du tout ! Je connais très peu le genre Fantasy, mises à part les facéties de Terry Pratchett (mais est-ce que ça compte vraiment ?) et la passionnante saga de l'Assassin Royal par Robin Hobb (qui déjà se rapproche plus de ce qui émane de ton texte).

Cela dit, je voulais tout de même te laisser un mot parce que ton texte me paraît très bien : le style est bon, un peu rèche à certains endroits et manquant de clarté, de fluidité (je ne suis pas fan des flash-backs) mais très descriptif, et fourmillant de détails qui révèle une imagination débordante et un travail rigoureux tout autour de cet univers. Le personnage principal est bien caractérisé, et a du potentiel.

Donc s'il existe une suite, moi je veux bien la lire !
At sunrise the monkeys will fly and leave me with pennies in my eyes
Sabaha_K
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Messagepar Mad sur 20 Fev 2005 20:05

Elle existe : j'ai déjà lu les deux chapitres suivants :)
Talbazar !!! La suiiite !!! :)
[b]Mad : [url=http://www.eapoe.org/works/tales/mystfb.htm]R. von Jung[/b][/url]
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chapitre 2

Messagepar Talbazar sur 21 Fev 2005 11:08

En avant toute, et merci aux courageux lecteurs ! :wink:

[size=150][b]CHAPITRE 2

Le sacrifice d’Ushidi[/b][/size]

L’évocation de ce jour enfui qui l’avait promu Seigneur d’Ukbar, maître du domaine au nom similaire, restait pénible à la mémoire du chevalier Pheder. Il aurait aimé réduire ce souvenir en cendres comme le faisait à présent le grand feu, qui brûlait toujours avec vigueur dans l’âtre, irradiant dans son dos une bienfaisante chaleur. Terminant avec délectation son second pichet, il s’essuya les lèvres d’un revers de manche, paya son dû et sortit.
Maintenant, le soleil perçait enfin franchement la couche de nuages qui se dispersaient en s‘effilochant, et les rues commençaient lentement à se remplir de monde. Pheder dut se coller contre un mur pour laisser le passage à un âne chargé de lourdes marchandises masqué par la foule qui envahissait la ruelle étroite. La journée dans l’île-citadelle promettait d’être belle. Selon la règle, Ukbar et ses terres étaient sous son pouvoir pour le reste de sa vie, il s’y était donc installé en compagnie de toute sa famille. Toutefois, le mal étrange dont il s’était cru libéré le reprit peu de temps après son arrivée au château, l’obligeant à revenir vivre sur Oberayan pour se soigner; mais les potions que lui faisaient avaler les meilleurs apothicaires du royaume restaient sans effets. Profondément déprimé, accablé la nuit par des cauchemars et des visions innommables, il décida de ne plus quitter Oberayan. Son père s’occupait en son absence des affaires d‘Ukbar. La veille, il se trouvait encore dans cet état d’esprit lorsqu’un des chevaliers était venu lui présenter la requête d’Ushidi. Celui-ci lui donnait rendez-vous dans son logis à la onzième heure.
Dépassant l’enceinte royale, Pheder pénétra dans la cour intérieure du château où les domestiques menaient tranquillement leurs matinales activités. Il monta ensuite sans hâte excessive l’escalier de la tour qui abritait la salle d’armes. En peu de temps il fut à la porte de la chambre d’Ushidi que celui-ci ouvrit sans attendre d’un geste lent et mesuré. Si lent…! se disait Pheder en lui-même, jetant sur le maître un coup d’œil furtif mais respectueux. Le poids des ans accablait sans appel ce vieux corps. Pheder ne connaissait pas d’autre vieillard que lui et restait très impressionné. La respiration du vieil homme devenait sifflante, rendant plus pertinent le bruit courant chez les jeunes avides de ragots qu’il s’était déjà choisi son successeur parmi les «quarante». Pheder quant à lui se demandait si le vénérable que Moud épargnait si généreusement n’était pas tout simplement immortel. Comme s’il eut surprit les pensées du chevalier, Ushidi redressa aussitôt les épaules, fixant son invité de ses yeux noirs et brillants qui gardaient intact l’intensité de leur jeunesse. Sa grande robe jaune, insigne de sa fonction, flottait sur son corps amaigri et la ceinture de cuir serrait sa taille grâce à un nouveau trou. Pheder dut faire un réel effort pour retrouver dans cet homme le maître solide et fort qu’il avait autrefois été. Ushidi le fit asseoir en lui présentant une coupe en cristal remplie d’un excellent vin. Buvant lui-même à une coupe identique, il s’enfonça dans un fauteuil garni de fourrures.
- « Ce vin de ma cave personnelle est-il à ton goût, chevalier? »
- « Il est incomparable assurément et j’en ai rarement bu de meilleur ! »
En répondant à Ushidi, Pheder songea immédiatement à celui qu’il venait d’avaler à la taverne. Ce dernier ne soutenait évidemment pas la comparaison. Pendant qu’il dégustait, Ushidi ne quittait pas son interlocuteur des yeux. Pheder voyait clairement que le vieux maître n’arrivait pas à formuler correctement ce qu’il avait à dire. Il s’agissait probablement d’une communication officielle d’une extrême importance...
- « Je t’ai soufflé sur le visage, autrefois, tu t’en rappelles? Je t’ai passé la main sur une flamme, je t’ai frappé du plat de mon sabre, et tu es devenu chevalier... Comme il est dur de renoncer avec toute le grâce nécessaire à sa jeunesse ! La fatigue et la solitude forment un couple maudit qui n’engendre que de sombres terreurs. Il faut pourtant savoir triompher de ses propres chimères, et ce n‘est pas l‘affaire d‘une épée… Vois-tu, Moud va bientôt m’emporter, c’est pourquoi je t’ai fait venir. »
Pheder voulu le rassurer mais le vieillard l’arrêta d’un geste vif, comme si son affirmation n’était plus qu’une vaine évidence. Le vénérable se leva lentement de son siège et avança la main, qu’il avait sèche et ridée comme la serre du milan, dans l’intention de remplir sa coupe. Finalement il y renonça, reprenant :
- « Je désire t’offrir un présent digne de ton rang, seigneur d’Ukbar ! »
Sur ces mots, Pheder le vit ouvrir l’unique buffet de la chambre pour en tirer un rouleau de velours rouge, brodé de fins et brillants fils d’argent. Il posa l’objet délicatement sur la table, écartant prudemment l’élégante carafe de vin. Sanglée de rubans noirs, la pièce de tissu protégeait certainement un objet lourd et précieux. Ushidi entreprit de défaire les nœuds des lacets avec la même attention méthodique et déroula l’écrin improvisé. Pheder ne put retenir son émotion en contemplant l’objet mit à nu. Déjà le maître s’en emparait pour le tendre à Pheder qui prit avec respect le mince fourreau, sachant qu’il protégeait le propre sabre du maître. Un long étui de cuir noir gravé des signes de Moud et qui renfermait la lame sacrée des ancêtres. Sur la garde de l’arme une incrustation de nacre dessinait l’aigle d’Oberayan en captant fugacement l’éclat du soleil.
Pheder tenait dans ses mains une des reliques les plus sacrées de l’île. Décontenancé par l’offre d’Ushidi, qui lui remettait une arme sur laquelle aucune main profane n’était autorisée à se poser, il remit le fourreau sur la table sans dégainer l’arme. Le vénérable semblait se jouer de l’interrogation muette qu’il lisait sur le visage du chevalier.
- « le sabre n’est plus aujourd’hui qu’un objet de folklore inutile. Bien sûr on le dit forgé dans l’enfance du monde par les Gobelins, mais je n‘y crois guère… Il a été transmis au cours des siècles sans interruption à chaque maître d’armes de la cité. Sa lame symbolise la victoire d’Oberayan sur Anamaying, son ancienne rivale. On peut même affirmer qu’elle fut l’instrument de son triomphe. Mais tu sais cela comme nous tous qui avons lu le Livre de Moud...
Certainement Pheder connaissait l’aura sacrée qui entourait ce sabre. Comment Ushidi pensait-il avoir le droit de s’en défaire et qu’allait dire le roi si Phéder se promenait dans les rues d’Oberayan avec une telle arme à ses cotés ? Ce sabre n’appartenait qu’aux ancêtres et devait être transmis au prochain maître des armes nommé lui-même par Ushidi. La proposition de ce dernier tenait du sacrilège, elle n’avait pas de sens et Pheder crût un instant que les vapeurs de vin égaraient l’esprit du vieux maître. Celui-ci semblait pourtant parfaitement lucide. Il dévisageait toujours Pheder qui fronçait les sourcils en ne sachant que dire. Pour prouver qu’il n’était pas devenu subitement fou il reprit la parole d’une voix étonnamment ferme :
- « Le sang que fera bientôt jaillir cette arme effacera la tradition! Mais elle doit avoir un possesseur et c’est à toi que Moud désire la donner. A toi seul !.
Que voulait dire cette soudaine prophétie ? Pheder hésitait toutefois à douter complètement de la raison du maître et fixait le sabre d’un oeil inquiet. N’existait-il pas des chevaliers plus valeureux que lui sur Oberayan ? Certes il avait acquis la seigneurie d’Ukbar, mais il restait convaincu qu’il ne la devait qu’à la divine intervention de Moud et qu’en conséquence, l’amazone ne pouvait pas le vaincre. Pour la deuxième fois, Ushidi plaçait le poids des ancêtres sur ses épaules, à lui qui n’était ni ambitieux ni sage. L’idée seule de tenir le sabre des ancêtres achevait de le scandaliser. Son vénérable vis-à-vis au regard à présent hermétique et fuyant, s’empara du sabre tout en se dirigeant vers la porte, animé semble-t-il d’une curieuse détermination :
- « Les choses de la matière se voient parce qu’elles agissent, parce qu’il existe un principe de vitalité. Mais c’est en l’esprit que réside la vrai force, la vrai puissance. C’est dans le pouvoir de ton esprit que réside la vrai stabilité. Suis moi !»
Ils passèrent dans la longue salle d’armes, une pièce immense et froide, avec de hauts piliers qui la soutenaient en files parfaites le long des murs, et se rejoignant au sommet en un croisé audacieux. Sur la voûte ainsi formée, les anciens maîtres d’art avaient peint de magnifiques scènes de batailles. L’une d’elle, particulièrement, accrochait tout de suite le regard. On y distinguait l’ancêtre royal Phalip kaenesh tenant dans sa main gantée de fer le sabre des ancêtres. Il frappait les assaillants, des soldats d’Anamaying qui surgissaient autour de lui au milieu des remparts d’Ukbar. Ainsi figuré par son image, l’ancêtre triomphant investissait complètement la peinture de sa présence. Il sembla même un instant à Pheder que le sabre venait de fendre l’air pour frapper. Le cheval du monarque était aussi noir que le propre étalon de Pheder, dont la robe ressemblait au fruit du sureau. Accrochés aux quatre murs de la salle, les écus de tous les chevaliers connus d’Oberayan témoignaient de l’ancienneté de la tradition et de la mémoire sacrée des éternels quarante. Ushidi tendait le fourreau noir à Pheder :
- « Prends le ! »
Pheder, comme hypnotisé par l’ordre du maître, s’empara de l’arme sans plus chercher à cacher sa gêne, puis il s’enhardit pour poser enfin la question qui lui brûlait les lèvres :
- « Qu’attendez-vous de moi, maître Ushidi ? »
- « Que tu dégaines ce sabre. Les émotions sont une chose, et les actions une autre !»
Le ton de la voix était impératif et Pheder s’exécuta. A l’instant même où ce dernier sortait la lame luisante de sa gaine de cuir, Ushidi décrochait du mur une vieille rapière nommée Acquisitio, ébréchée et rongée par la rouille :
- « Sais-tu ce qu’on appelle l’empathie, mon fils ? c’est la capacité de comprendre et reconnaître les émotions de l'autre, quand bien même il serait ton pire ennemi. Un combat ne sert à rien s'il ne fait pas naître la paix, qui n'est pas l'endormissement ! Nous allons voir comment se comporte le sabre des ancêtres entre tes mains, jeune chevalier, que l'esprit circule dans ton bras, et que tout mon savoir t’accompagne ! »
Pheder, de plus en plus troublé, se demandait pourquoi le maître se jouait ainsi de lui... Poussé par quelle hérésie l’avait-il fait venir en ces lieux pour manier une arme qu’il n’aurait même pas du toucher ? Encore moins dans un duel, même courtois, avec le vénérable... Celui-ci terminait l’inspection de sa lourde épée:
- « Tu n’est plus un novice, mon fils, Prends ta garde, seigneur d’Ukbar ! ne te disperse pas, et ressens ce que je ressens ! »
L’injonction du maître, formulée sur le ton de l’exercice, agit instantanément sur les réflexes entraînés par l’habitude des milliers d’heures d’exercice et Pheder prit aussitôt le sabre à deux mains en le levant devant lui à la verticale. Face au vieil homme, Pheder ne pouvait s’empêcher de penser à l’indécence de la scène et de sa position. Ushidi rendit un salut identique et ne semblait pas outre-mesure incommodé par le poids de son arme antique. Contrairement aux apparences, le vieil homme s’affirmait encore très fort; il porta rapidement le genou gauche en avant et les fers se croisèrent brutalement. Dans les mains de Pheder, qui n’avaient pas l’expérience du sabre, la mince lame des ancêtres se montrait d’une extrême légèreté.
- « Vois comme il t’obéit ! »
Ushidi lança cette injonction en tentant de porter un coup sur la droite du chevalier, mais Pheder sentait que le maître ne cherchait pas à utiliser son immense technique. Bien sûr il donnait mal le change en plaçant quelques habiles tentatives, mais sans acculer Pheder, qui comprit alors que le maître se jouait bien de lui. Malgré l’usure du temps qui marquait son corps amaigri le vieil Ushidi se montrait toujours d’une extrême habileté. Pheder se demandait ce que voulait dire un tel exercice gratuit, les feintes grossières du vieillard, qui ne lui apprenait pas grand-chose sinon la scandaleuse manipulation d’une lame taboue. Le chevalier restait intrigué, mais dans le clair-obscur de la salle d’armes le combat augmenta soudainement d’intensité ; Ushidi le chargeait à présent avec une violence qui dérouta le jeune seigneur. Le vieux maître faisait tournoyer Acquisitio au dessus de sa tête comme un dément et la force mise dans ce geste contredisait les coups mesurés d’un simple entraînement. Pheder comprit qu’Ushidi cherchait à le tuer vraiment, et à la suite de quelques échanges très durs, le doute ne fut plus permis. Pheder parait désespérément les coups du vieillard qui se jetait sur lui en ahanant. Pheder protégeait sa vie, l’épée à la main, pour la deuxième fois de son existence. Les frappes d’Ushidi étaient d’une férocité insensée. Pheder tenta de raisonner son adversaire.
- « Maître... ! »
- « Blesses à mort, si tu le peux ! sois efficace !»
Comme un loup enragé, Ushidi fonçait sur Pheder pour l’obliger à lutter, et ce dernier devait contre-attaquer sans répit. Se ruant à son tour, il dressa son sabre dans l’espoir de désarmer Ushidi qui parut connaître à ce moment une intense jubilation. Voyant Pheder agir enfin selon ses désirs, il ne recula pas selon la logique, mais s’avança vers le chevalier en baissant sa garde. Surpris par ce comportement irrationnel, Pheder ne put faire dévier le sabre à temps et la lame déchira l’air en sifflant, s’abattant sur le crâne d’Ushidi en le coupant en deux, éjectant sur la robe jaune du maître d’armes un terrible flot de sang.
Hébété par cette funeste action, Pheder resta un moment à contempler le corps de sa victime défigurée par l’horrible blessure, qui gisait à présent sur la mosaïque compliquée du sol. Réalisant enfin pleinement la mort d’Ushidi, il laissa glisser le sabre à terre, puis il jeta sur la salle d’armes un regard circulaire. Une tenture s’agita un instant, puis s’ouvrit, laissant le passage au Roi Umesh Nader qui s’approcha du jeune homme en lui posant la main sur l’épaule d’un geste rassurant :
- « J’ai tout vu, rude bretteur !. Mais ne crains rien, Ushidi vient bien de se tuer lui-même en s’aidant de son propre sabre, réalisant ainsi sa dernière volonté. Une triste péripétie, en quelque sorte ! Il m'avait fait part de cela et de bien d'autres choses encore... Rien ni personne n’aurait pu arrêter le cours des événements car Ushidi désirait ardemment ce sacrifice ».
A ce moment, ponctuant les dernières paroles du roi, les cloches de la crypte des Saints Ancêtres se mirent à sonner à toute volée. Elles accompagnaient le Ka d’Ushidi au paradis de Moud et sonnaient en même temps pour annoncer la délivrance de la Reine Kalash qui venait de mettre au monde une fille splendide que l’on prénomma Eyin. Précisément, l’esprit d’Ushidi, en s’échappant à cet instant, planait désormais sur elle. La princesse ne pouvait espérer plus noble parrainage que l’esprit tutélaire du vieux maître.
Le Roi Umesh Nader, un homme d’une quarantaine d’années à la barbe déjà grisonnante, disciplinait sa longue chevelure par un bandeau de cuir garni de joyaux précieux. Ses yeux verts qui attestaient du lignage des Nader luisaient d’une grande intelligence. Une épaisse moustache soulignait un nez typique de sa grande famille, laquelle succéda autrefois aux Enesh sur le trône d’Oberayan. Fatigué par la lutte, abasourdi par l’acte qu’il venait de commettre sans l’avoir voulu, Pheder essayait à grand peine de se ressaisir et reprenait difficilement conscience avec la réalité. Umesh Nader se tenait toujours en face de lui dans une attitude compatissante et le son de la voix du monarque empêchait Pheder de se concentrer sur le cadavre d’Ushidi étendu à ses pieds. Saisissant la manche de la tunique de Pheder, le roi entraîna celui-ci hors de la salle en disant :
- « Le sabre des ancêtres t’appartient de droit désormais. En se donnant la mort, j’insiste bien sur cette version des choses, Ushidi a brisé la chaîne de la loi. Il a tranché le sabre. Que son esprit accompagne Moud dans la paix suprême. Il n’y aura d’ailleurs plus de maître des armes car les quarante chevaliers dont tu fais partie seront les derniers. C’est la volonté de Moud ! Oberayan vit depuis si longtemps dans la paix qu’elle ne doit plus conserver en son sein une tradition dangereuse qui pourrait se retourner un jour contre elle. Les coutumes guerrières n’ont plus de sens. Il faut relire la parole de Moud. Pour ce qui est du maître, j’efface ta culpabilité, je t’assure que tu n’avais pas le choix ! »
En pénétrant à la suite du monarque dans le donjon abritant la famille royale, l’inquiétude de Pheder ne cessait de grandir. Les aveux d’Umesh Nader révélaient un grand sacrilège, comme le fait que lui-même portait à sa hanche l’arme du crime d’Ushidi, la relique sacrée des ancêtres ! Pourtant, par l’ordre donné, il devenait le nouveau gardien de la lame et le sabre ne devait plus le quitter jusqu’à sa propre mort. Tous ces faits réunis contredisaient son enseignement. Rien dans l’île-citadelle d’Oberayan n’exigeait que les coutumes soient brisées. La tradition habitait le Livre de Moud, Moud était la loi et le Roi son outil. Or le livre de Moud... Le roi l’interrompit dans le cours de ses pensées :
- « Seigneur d’Ukbar, je discerne dans ton attitude que mes propos t’affectent plus que je ne l’aurais désiré... Peut-être vois tu en moi un pontifiant penseur, mais tu dois comprendre que si Moud n’a qu’une parole, les gens d’Oberayan, eux, ont deux oreilles. Nous devons réétudier le Livre des Ancêtres avec plus de soin que par le passé. Le sacrifice des vieillards est une tradition qui s’enlise. C’est un rituel qui est exigé de Moud parce que le tabou de la forêt d’Obyn nous empêche d’y pénétrer pour y réaliser notre expansion. Pourtant le monde est vaste et ne se limite pas à l’île d’Oberayan ou à ton propre fief ; personne ne l’ignore vraiment. En tant que seigneur du domaine d’Ukbar, tu est bien placé pour reconnaître que la forêt d’Obyn n’a pas plus de limites apparentes que la mer d’Anyg elle-même. Le fait que nul ne soit jamais revenu de ses pièges ne doit plus nous décourager. De la même manière, nos marins qui s’écartent trop d’Oberayan sont à jamais capturés par les djinns des eaux, mais les grands mystères seront percés et les tabous tomberont. C’est Ushidi qui m’a amené à constater notre coupable persistance à vouloir occulter l’avenir. La tâche est certainement trop lourde pour moi et l’hostilité d’Oberayan sera grande. Moi-même je vis encore dans la crainte des tabous ancestraux, mais une princesse est née et comme dit le livre de Moud :

Du sang du passé jaillira le sang du futur.

Après cette longue diatribe le roi introduisit Pheder dans la chambre royale où la reine Kalash Nader se reposait au milieu d’un superbe lit à baldaquin en noyer sculpté. Ses longs cheveux blonds encore collés à ses tempes par la sueur balayaient doucement le petit enfant à qui elle venait de donner la vie. Umesh Nader se fendait d’un immense sourire :
- « Vois, chevalier ! il me faudra un prince pour ma fille ! »
Trois servantes qui avaient assisté la reine lors de son accouchement tournaient à présent autour du lit. Elles s’affairaient à remettre de l’ordre sur celui-ci. Les deux hommes s’écartèrent. La princesse Eyin, que l’on n’avait pas encore emmaillotée, dormait sur sa mère. Pheder devina sur cette chair naissante les traits caractéristiques des Nader. A peine remis de son duel avec Ushidi ce spectacle tranquille et paisible contrastait avec le tumulte négatif de ses propres sentiments. Il quitta la pièce à la suite du Roi.
- « Moud m’a gratifié d’une fille et je devrais m’estimer comblé... »
Umesh, volubile, parlait toujours en précédant Pheder dans une nouvelle salle, beaucoup plus grande que la chambre luxueuse qu’ils venaient de quitter. Il s’installa sur un banc garni de superbes coussins blancs, reprenant la conversation :
- « … Mais l’aigle d’Oberayan représente une lourde charge à laquelle je ne puis me dérober. Les gens de l’île doivent apprendre à reconsidérer leur vision du monde, avec l’aide de Moud et de son magistère. »
Sa référence à Moud choqua Pheder si profondément qu’il préféra éviter le regard du Roi. Elle impliquait la fin des bienheureuses certitudes et le début d’un grand bouleversement dans le royaume. Pheder estimait que le Roi possédait toute ses facultés mentales, mais il ne reconnaissait pas dans l’exposé du monarque la véritable parole de Moud. Comment considérer avec autant de légèreté les tabous millénaires de la mer d’Anyg et de la forêt d’Obyn, et envisager avec une telle désinvolture le sabre de l’aigle ? Que deviendrait la tradition d’Oberayan sans maître des armes ? Il ne comprenait pas le sens des paroles, comme il ne comprenait toujours rien au suicide d’Ushidi. Pourtant il avait bel et bien tué ce dernier. Alors, lentement, l’angoisse qui l’étouffait depuis toujours, ce vague mais lancinant sentiment d’oppression, les fulgurantes crises qui s’abattaient sur lui depuis environ une année, s’abattirent sur ses épaules avec une telle violence qu’il crût que le monarque l’avait frappé. Toutefois, il devinait qu’il se forgeait lui-même cet atroce tourment. Il entendit vaguement une sorte d’appel invisible et cette curieuse sensation lui fit reprendre conscience immédiatement. Le Roi qui se taisait à présent ne s’était douté de rien et regardait pensivement par la fenêtre. Libéré de cette affolante et subite douleur morale Pheder se leva de son siège. Le sabre en glissant sur sa taille émit aussitôt un bruit feutré auquel il devrait s’habituer. Il remercia sur-le-champ Umesh Nader avant de le quitter, pour sa condescendance, qui lui épargnerait la hache du bourreau. Ensuite il descendit d’un pas vif les marches en colimaçon du donjon pour retrouver les rues bondées autant qu’animées, où les gens vaquaient à leurs affaires sous un ciel devenu de plomb. Les auberges bruyantes regorgeaient de buveurs, les ménestrels jouaient de leur chalémies, cromones et autres tympanons, les acrobates et saltimbanques drainaient la foule sur les places où damoiseaux et damoiselles revêtaient leurs plus beaux atours. Retrouvant sa chambre, le jeune homme posa sur son lit le sabre d’Ushidi qui lui brûlait la cuisse et s’endormit, l’arme sacrée à son côté, d’un sommeil qu’il devinait déjà plein de cauchemars.
Deux jours plus tard, on incinéra le maître d’armes Ushidi avec tout l’apparat dû à son rang. Une foule énorme assistait à la mise à flot de la barque funèbre sur laquelle s’entassaient les fagots du bûcher. Le corps d’Ushidi recouvert d’un linceul jaune trônait au milieu des branchages auxquels un chevalier de la guilde des quarante mit le feu. Les compagnons de celui-ci, les élèves du maître que Pheder aurait dû rejoindre, s’emparèrent de leurs arcs, et au moment où l’embarcation fumante s’élançait sur les flots, une nuée de flèches vint frapper l’eau autour d’elle. Les traits des chevaliers tuaient ainsi symboliquement les djinns des eaux désireux de s’emparer des cendres du vénérable. Or, Pheder, saisi de fièvre, ne se déplaça pas. Il dormit au contraire trois jours et trois nuits de suite, couvert de sueur, délirant dans un mauvais sommeil. Il fit un rêve étrange, dans lequel le roi Umesh Nader se faisait dévorer par un grand loup malgré son armure dorée, dans une obscure vallée, et Pheder tuait le loup et le jetait dans un immense brasier. Un autre songe voyait la reine Kalash vêtue d'azur allaiter un dragon, sous le regard de sept paysans cultivant un beau jardin orné d’un grand rosier, où jaillissait au milieu des parterres une eau claire et cristalline, un troisième rêve lui montra le combat tumultueux de trois oiseaux blanc, rouge et noir prisonniers dans les larmes d'un géant de verre.
La femme qui lui louait la chambre le découvrit finalement devant sa porte, la tunique couverte de vomissures. Après l’avoir lavé, elle lui administra des tisanes et des fumigations qui semblèrent améliorer sa condition. Il se remit peu à peu et s’alimenta normalement. Il participa même au festin qu’Umesh avait donné en l’honneur de la princesse Eyin. Mais Pheder, épuisé, ne s’intéressa guère aux réjouissances, arborant un air absent devant les danseuses pourtant actives à le dérider. Le dresseur d’ours n’eut pas plus d’effet. Pourtant la bête superbe faisait habilement le poirier, en se tenant sur les pattes avants. Les jongleurs et les ménestrels n’eurent pas plus de chance de le sortir de sa torpeur. Pheder quitta donc la salle du banquet immédiatement après le repas, assurant le Roi de ses vœux et se fit conduire vers les terres du nord que la brume masquait. Le passeur, un homme curieux et bavard, propageait sur le fief d’Ukbar les baratins de l’île-citadelle. En posant pied à terre sur le rivage, le chevalier se retrouvait à présent sur ses propre terres. Il parcourut un instant la plage et enfourcha son cheval que l’on faisait patienter dans un champ proche. En remerciant l’homme qui lui présentait les rênes il prit au galop le chemin du domaine d’Ukbar.
Talbazar
 

Messagepar Mad sur 21 Fev 2005 20:42

Mon commentaire de "l'époque" :
Toujours aussi bien écrit.
Pas vraiment de "cliffhanger" à la fin du second chapitre (quoi que, un peu... où va-t-il ? Ses rêves signifiaient-ils quelque chose pour l'avenir ? etc.) mais doit-il toujours y avoir un cliffhanger ? Non, surtout dans un livre où le chapitre suivant est censé arrivé juste après.


Talbazar, il y a d'autres contes ou nouvelles sur ce forum même, qu'en penses-tu ? :D
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Messagepar Talbazar sur 23 Fev 2005 9:16

çà valait pas un pet de lapin ! :D
Talbazar
 

Messagepar Mad sur 27 Fev 2005 21:45

[quote="Talbazar"]çà valait pas un pet de lapin ! :D[/quote]
Dis pas ça :?

Bon, les EpidermiQ'iens... Un peu de lecture, ça vous dit ? :)
[b]Mad : [url=http://www.eapoe.org/works/tales/mystfb.htm]R. von Jung[/b][/url]
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