[Nouvelle] Desesperado

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Modérateur: Amrith Zêta

[Nouvelle] Desesperado

Messagepar Richard Mesplède sur 01 Aou 2006 14:58

[b]DESESPERADO[/b]


Fred John Bock, éminent chasseur de prime dont la réputation sans faille n'était plus à faire à travers le "Weird West", venait de quitter la gare de Tucumcari, où il s'était à peine octroyé deux heures de repos. Ses deux peacernakers cognaient durement contre ses cuisses glabres alors que sa monture filait au galop à travers l'Arizona.
L'aube était en train de poindre, et si les calculs de Bock, basés sur son allure et celle, approximative, du fuyard, étaient exacts, alors il se pourrait bien que cette fois-ci il parvienne à rattraper son ennemi de toujours, pour lequel il n'était pas payé, et dont l'ultime rançon dont il tirerait profit serait celle de voir le corps impie abandonné à la trop honorable présence des charognards.
Fred J. Bock n'avait pas l'allure d'un héros. Du haut de son mètre soixante, sa carrure chétive n'aurait pas inspiré le respect au plus pleutre des hors-la-loi. Son large front, auréolé de fins cheveux blancs, surplombait de proéminents sourcils sous lesquels se terraient les yeux - bleus, perçants, et insondables - qui, lorsqu'on les croisait, ne se faisaient plus jamais oublier. Ce regard-là avait fait trembler de crainte de nombreux desperados à travers le pays, et aucun d'entre eux n'avait alors échappé à Bock. Il y avait quelque chose de presque magique, caché à la frontière de l'insondable, dans les yeux du chasseur de prime. Peut-être étaient-ils le pâle reflet d'une intelligence redoutable, d'un instinct de prédateur que rien d'extérieur n'aurait laissé soupçonner...
Nous étions en 1863. La guerre continuait depuis plus de deux ans à enlever les enfants d'Amérique ; cela faisait donc quatre ans que Fred John Bock poursuivait le Sorcier.
Le Sorcier... C'est lui-même qui l'avait appelé ainsi, à l'heure où encore les soupçons et le doute se bousculaient dans sa tête. Mais à présent, il savait que le surnom était dérisoire, comparé à ce dont était capable le meurtrier.
Bock glissa la main dans une poche de son cache-poussière, et en sortit deux vieilles cartes à jouer racornies, dont le dos était peint en noir.
La première était trouée ; il l'avait trouvé épinglée à l'aide d'un couteau de boucher dans le dos d'une gérante de saloon de Goldback, quelques semaines plus tôt. La Dame de Pique.
Cela devait faire bien plus longtemps qu'il portait sur lui la deuxième, à en juger par l'usure qui en avait grignoté les bords et terni la face. Le Valet de Pique, qu'il avait découvert non loin du cadavre encore chaud de son pauvre frère, aux premiers jours de la plus sanglante guerre que devait jamais connaître le pays.
L'heure de la vengeance a sonné, pensa Bock. Dans quelques heures, il rattraperait le Sorcier, et le renverrait en Enfer, d'où il n'aurait jamais dû s'échapper.
Le Sorcier était très puissant. Bock n'avait jamais comprit comment le meurtrier s'y prenait pour commettre ses méfaits. Il avait croisé peu de gens capables de le décrire physiquement ; ceux qui l'avaient approché de trop près n'étaient plus là pour en parler... Mais certains l'auraient vu accomplir des prodiges contre-nature. Ainsi, le Sorcier aurait fait jaillir des éclairs du sol afin d'éblouir quelques témoins, cependant que la foudre, invoquée par ses mains, terrassait ses victimes.
Bock ne prêtait pas foi à ses contes de mégères, mais il devait avouer que de nombreuses coïncidences fleurissaient dans les rumeurs que, de-ci, de-là il parvenait à glaner. Trop de coïncidences, à vrai dire, pour pouvoir affirmer censément que le Sorcier n'en était pas un. Alors le chasseur de prime s'était forgé sa propre opinion : le Sorcier était un prestidigitateur, un illusionniste hors pair. Et, qui plus est, un fin tireur. Voilà tout. Pas de magie ni de puissances démoniaques. Le Sorcier n'était rien d'autre qu'un simple être humain, et Bock détestait entendre crier au loup alors qu'il n'avait devant lui qu'un vulgaire scorpion. Vulgaire mais dangereux. Il prendrait soin de l'écraser avant de se faire piquer...
Il remit les cartes dans son cache-poussière, et éperonna les flancs de sa monture. Au sol, un vieux panneau de bois pourri annonçait: "Blackstone, 3 miles".
Blackstone, vieil hameau déserté depuis plusieurs années, quand le chemin de fer s'était emparé de Tucumcari. Le Sorcier allait certainement s'y terrer pour passer la nuit. Et le Seigneur lui était témoin que ce serait sa dernière...
Bock attacha son cheval quelques centaines de mètres avant les premières ruines. Puis il attendit le crépuscule, profitant du temps qui lui restait avant de passer à l'action pour démonter soigneusement ses armes, les huiler, et les recharger.
Le vent se leva au moment où il se glissait, à la faveur des ombres portées par les squelettes de masures abandonnées, dans le village. Il s'arrêta contre le chambranle d'une porte vermoulue et prêta l'oreille.
Pas un bruit.
Un tas d'herbe roulée en boule roula le long de la rue principale et s'éloigna dans la nuit, portée par le vent du sud.
Un nuage vint masquer la face vérolée de la lune. Bock sortit à découvert et commença d'arpenter les rues désolées de Blackstone.
Il inspecta méticuleusement plusieurs tas de ruines. Au bout d'une heure de vaines investigations, il dut s'avouer vaincu. Le Sorcier l'avait roulé. Il n'était plus dans le village, s'il y avait jamais été.
Fou de rage, il quitta la carcasse éventrée d'une écurie, et courut jusqu'à sa monture. S'il faisait vite, peut-être pourrait-il retrouver les traces du hors-la-loi...
Le cheval gisait dans une mare de sang, d'énormes échardes de bois plantées sauvagement dans l'abdomen, et deux gros clous rouillés enfoncés dans ses yeux. Une carte à jouer, semblable à celles que Bock avait déjà découvert à deux reprises depuis qu'il poursuivait le Sorcier, dépassait de la gueule écumante d'hémoglobine : le Cavalier de Pique. Au moment où, Bock, rendu fou par la terreur et le dégoût, allait se mettre à hurler, l'animal tressaillit. Il vivait encore! Quel être dénué de sentiments, quel monstre inhumain pouvait faire une chose pareille que d'abandonner une pauvre bête innocente à un sort aussi horrible?
Le chasseur de prime dégaina ses armes et mit fin aux tourments de sa monture.
Un ricanement explosa alors dans son dos. Il se retourna, les revolvers encore fumants dans ses mains tremblantes.
Le Sorcier se tenait face à lui, dans une pause qui trahissait son calme et sa sérénité. Un chapeau à large bords masquait ses traits à la lueur blafarde et lunaire, mais Bock pouvait voir les deux braises rougeoyantes étinceler dans l'ombre comme les yeux d'un monstre enragé s'apprêtant à bondir.
Il n'hésita pas une seconde. Ne se demanda même pas si le tremblement de ses mains allait le trahir et le conduire à sa propre perte. Ne se demanda même pas si l'autre était armé.
Le chasseur de prime leva ses armes et vida les barillets sur le Sorcier.
Celui-ci ne tenta pas d'esquiver la grêle mortelle.
Les revolvers de Bock étaient vides. Dix balles avaient été tirées à bout portant sur l'être de cauchemar qui lui faisait face. Et le Sorcier était encore debout. Comme si aucune balle ne l'avait atteint.
Le ricanement sarcastique retentit une deuxième fois. Le Sorcier marmonna quelque chose d'incompréhensible, puis tendit la main en direction du chasseur de primes. Celui-ci laissa tomber les peacemakers et s'empara de son couteau. Puis il chargea.
Le sorcier continuait sa litanie. Lorsque Bock arriva sur lui, se fut pour constater que la main tendue vers lui était aussi blanche que celle d'un cadavre. D'une blancheur contrastant avec le revers de la carte qu'elle brandissait.
L'être qui se faisait appeler "le Sorcier" écarta les pans de son cache-poussière noir au moment où le chasseur de prime allait le percuter. Il y eu un éclair, un tourbillon, puis un dernier ricanement.
Fred John Bock disparut dans le néant dévoilé par le cache poussière.
Le Sorcier referma sa cape sur lui, et laissa tomber la carte au sol, près des revolvers du chasseur de primes. Après quoi il s'enfonça dans la nuit.
La carte à jouer s'était retournée en tombant au sol, et dévoilait une figure barbue et couronnée, aux traits meurtris. Le Roi de Pique...

Bock continuait de charger lorsqu'il réalisa l'inutilité de son geste. Le Sorcier avait disparu au moment même où il allait mettre fin à ses jours.
Le cheval aussi avait disparu. De même que les ruines, au loin. De même que la nuit...
Il n'en croyait pas ses yeux. Il faisait jour. A en juger par la position du soleil, qui l'éblouissait à le faire pleurer, il devait être midi. C'était donc vrai. Le Sorcier était un sorcier.
Bock promena son regard alentour.
Alors il les vit.
Des pieds tendres, peut-être, à en juger par leur accoutrement étrange. Une dizaine. En train de parler dans un jargon bizarre aux accents inconnus. Tous regardaient une scène, à quelques mètres de là. Il s'agissait d'un duel, visiblement. Deux pistoleros se faisaient face, prêts à dégainer. Un troisième personnage se tenait près d'eux.
Bock ne put réprimer un "Oh" de surprise. L'un des deux duelistes tourna la tête dans sa direction. Il allait se faire descendre par l'autre, à coup sûr, pour ce moment d'imprudence.
Mais non. L'autre suivit son regard, et rencontra celui de Bock.
Alors le troisième personnage se retourna, et Bock se mit à hurler.
C'était une créature venue tout droit de l'enfer. Il soutenait de ses deux mains une tête trop lourde, énorme, dont les reflets trahissaient qu'elle était faite de métal. Un oeil unique fixait de son regard étincelant le pauvre chasseur de prime.
Quelqu'un cria au loin.
Bock s'enfuit en courant. Le Sorcier l'avait envoyé en enfer.
Sur le plateau de tournage, le réalisateur du western débrancha sa caméra et regarda, dépité, l'inconnu s'éloigner sur le plateau. Les deux acteurs se regardèrent d'un air interrogateur. L'un d'eux s'exclama:
"D'où est-ce qu'il sort, celui-là?"
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Messagepar Invité sur 03 Aou 2006 13:17

:idee: Je pense à ce que j'ai pu voir que tu as beaucoup de talent :pepep: Pourquoi ne pas proposer comme certains tes textes pour un recueil ou et bien même proposer un manuscrit .

http://www.centrenationaldulivre.fr/pmb/opac_css/


En fait je ne t'ai donné que le lien de l'exemple de l'aide que certains ont pu avoir .Mais n'hésite pas à surfer sur la totalité de ce site pour jeunes auteurs ;)

Qui ne risque rien ,n'a rien !:roll:
Invité
 

Messagepar Richard Mesplède sur 09 Aou 2006 16:57

En fait je suis déjà publié en ligne sur le site www.Anice-fiction.com, que je recommande à tous les bibliophiles, et où vous retrouverez quelques-uns de mes textes.
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Messagepar Mad sur 09 Aou 2006 19:31

Alors déjà on ne s'attend pas trop à ce que ça passe du western au fantastique, et puis après, paf, une autre chute, le héros a été télétransporté dans le futur (pour lui), ça devient de la science-fiction... Et en plus il se croit en Enfer :D

Une satire cachée de la société contemporaine ? :grin:

En tout cas, c'est bien écrit !)
[b]Mad : [url=http://www.eapoe.org/works/tales/mystfb.htm]R. von Jung[/b][/url]
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Messagepar Richard Mesplède sur 10 Aou 2006 7:54

Bien vu Mad!
Merci pour ton commentaire, je suis ravi que cette histoire t'ait plu (et surprise, visiblement).
Cordialement,
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Messagepar mauvaises-opinions sur 26 Déc 2006 23:48

Très bien écrit, là je suis d'accord, par contre il y a quelque chose qui me dérange, l'histoire est peut être trop courte ... Peut être pour l'effet de surprise ...
Certaines parties ne sont peut être pas assez développées par rapport à d'autres ... Le début, par rapport au reste: il y a une cassure du rythme, peut être trop évidente ? Est ce voulu ? J'avoue que ça me dérange un peu ....
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Messagepar Richard Mesplède sur 27 Déc 2006 19:22

Disons que oui, cette "cassure de rythme" a été calculée... mais c'est un vieux texte, et si je devais le réécrire maintenant il serait bien différent... beaucoup plus long je pense.
Enfin, ca donne un aperçu de ce que j'écris dans le genre western horreur.
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