L'Oiseau de l'Autre Côté de la Fenêtre

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Modérateur: Amrith Zêta

L'Oiseau de l'Autre Côté de la Fenêtre

Messagepar Richard Mesplède sur 25 Mar 2007 19:39

Je suis assis là, sur cette chaise de bois vermoulue, dans cette grande salle obscure, seul. Je ne saurais dire depuis combien de temps j’attends, ni ce que j’attends. Je pourrais être là depuis cinq minutes ou depuis des années, ça ne changerait rien.
La pièce est vide, exceptées la chaise et la fenêtre. Une chambre sans porte paraît certes singulière, mais la fenêtre, à elle seule, justifie bien des secrets immuables.
Elle est vieille, la vitre recouverte de poussière. Je pourrais lever le bras et l’essuyer avec ma manche crasseuse pour mieux voir à travers, mais je n’en ai pas la force.
Tout à l’heure, je sais que l’oiseau va venir.
Seule la fenêtre me sépare de la liberté.
Je vois l’herbe s’étendant à l’infini de l’autre côté. J’aperçois les millions de fleurs qui font un tapis multicolore sur l’herbe. Le ciel est bleu, vide, seulement caché à l’horizon par une grande forêt d’arbres plusieurs fois centenaires.
C’est un peu comme si l’Homme n’existait pas de l’autre côté. C’est comme s’il n’avait jamais existé.
Un point noir apparaît dans le ciel. C’est l’oiseau qui arrive. Déjà, il fonce vers moi et se pose dans l’herbe avec grâce.
Son plumage est tout noir, noir comme la mort, noir comme la grande chambre noire qui m’enveloppe de sa noirceur noire.
Son long bec orange fouille l’herbe devant moi, là, à quelques centimètres.
Si je le voulais, je pourrais briser la vitre et toucher l’oiseau, le caresser. Si je le pouvais…
J’ignore d’où il vient, ni où il repart après sa visite quotidienne. Il se pose là, tous les jours, à la même heure, picore quelques insectes et me regarde longtemps, longtemps.
Et il s’envole vers là-d’où-il-vient, et j’ignore d’où il vient, mais il se pose là tous les jours à la même heure et me regarde, et s’envole.
Il me regarde ; ses yeux ont quelque chose d’intelligent. Il me fait un peu peur mais je sais qu’il est mon ami, qu’un jour c’est lui qui m’aidera à sortir, à m’évader.
J’ai déjà essayé de briser la vitre avant, quand je pouvais encore le faire.
Mais bien sûr cette vitre-là ne peut pas se casser. C’est une Vitre Faite Exprès ; une vitre INCASSABLE, comme ils disent les autres. Comme ils disaient, quand je pouvais encore les voir. Je n’ai plus le droit, maintenant, je suis puni dans la grande salle noire aux murs-sol-plafond noirs comme un tapis de fleurs fanées.
Aujourd’hui, je le sais, l’oiseau ne partira pas. Pas sans moi. Il est venu me chercher. D’ailleurs, il attend, là, calmement, en m’observant de ses petits yeux d’homme.
Bientôt, la porte va s’ouvrir. Je sais qu’elle va s’ouvrir. Il n’y a pas de porte mais il y en a une. Je ne la vois pas la porte mais elle va s’ouvrir et je pourrais la voir parce qu’elle sera ouverte et elle ne sera plus mélangée aux murs ; quand ils vont venir. Les hommes-en-blanc. Oui, ils vont venir, comme d’habitude, et comme d’habitude je vais crier parce que je déteste les piqûres.
En plus, je ne peux plus me défendre depuis la dernière fois quand j’ai essayé de casser la vitre et que j’ai fait mal à un homme-en-blanc en lui tapant dessus avec la chaise qui n’était pas encore vissée au sol et qu’il est tombé et qu’il ne bougeait plus l’homme-en-blanc.
Parce que maintenant ils m’ont mis une chemise-qui-se-boutonne-dans-le-dos et je ne peux plus bouger, et c’est bête.
Je sais qu’aujourd’hui, quand les hommes-en-blanc vont venir, ils ne me feront pas de piqûre parce que je serai déjà parti avec l’oiseau.
Il s’est posé sur le rebord de la fenêtre et m’observe encore. Il attend que je vienne.
Et ça me fait tout bizarre parce que j’ai l’impression de bouger sans bouger et puis je vois l’ombre de l’oiseau et c’est pas une ombre d’oiseau.
C’est l’ombre d’une femme-squelette en robe noire comme une ombre, tenant une grande faux noire comme l’ombre de la robe de l’oiseau.
J’ai l’impression de passer par la fenêtre. Au travers de la fenêtre. Et j’entends les hommes-en-blanc qui arrivent dans le couloir mais c’est trop tard.
Les hommes-en-blanc ouvrent la porte et ils me voient étendu par terre, les yeux fixes, et je les regarde en traversant la fenêtre et en m’envolant avec l’oiseau.
J’ai froid.
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Messagepar mauvaises-opinions sur 29 Mar 2007 21:45

Je viens de finir le texte et je le trouve très émouvant. Il n’y a rien à redire, comme d’habitude, à force de le répéter, tu dois commencer à le savoir j’adore tes textes.
On se laisse transporter par l’ambiance, il n’y a qu’à se laisser aller et on voit le personnage. Le thème est cruel, la psychiatrie, les piqûres, une pièce avec seulement une fenêtre et une chaise, la solitude et la mort considérée comme une délivrance, mais pourtant tout est écrit avec douceur, le personnage semble être encore enfantin, parce que pleins d’espoirs même si ceux-ci ne sont pas forcément très joyeux, enfin bref c’est émouvant et j’adore…
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Messagepar Richard Mesplède sur 30 Mar 2007 8:10

Merci Mauv, pour avoir lu ce texte et pour cette analyse sensible. Voilà qui est encourageant!
A bientôt,
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Messagepar Toomseuge sur 30 Mar 2007 17:36

J'ai bien aimé moi aussi: Le sujet, le style volontairement naïf et poétique en même temps. Bon boulot! :)
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Messagepar Lokorst sur 30 Mar 2007 20:43

Oui c'est pas mal.

Mais à mon gout un peu trop chargé. Certaines phrases pourraient être allégées.

En fait non. Pour ce texte ça passe bien.
Mais on sent la technique du style, le mécanisme sur chaque phrase. Aussi je pense que - mais je le repête, pour ce texte, ca va - cela peut devenir un réflexe d'écriture, un tique, qui te permet d'enrober un récit où le fond ne serait pas à la hauteur. Bref, pour un texte court, tournant sur une idée, c'est bon, mais si tu veux entamer un récit plus long, y intégrer des dialogues, sortir de la première personne, ce décorum stylistique peut devenir un frein énorme.

(mais j'ai pris plaisir à le lire : surtout le coeur du texte)
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Messagepar Kami sur 30 Mar 2007 21:34

Le seul inconvénient se rapporte aux propos tenuent par le personnage au tout début qui donnent l'impression d'être liés au passé, et ce à cause de certains termes assez technique qui y incluent de par leur présence la notion de recule sur les événements, de surcroit en contradiction avec le reste qui, lui, s'apparente au présent.

Point fort: Le sujet !
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Messagepar Richard Mesplède sur 30 Mar 2007 23:37

[quote]Oui c'est pas mal.

Mais à mon gout un peu trop chargé. Certaines phrases pourraient être allégées.

En fait non. Pour ce texte ça passe bien.
Mais on sent la technique du style, le mécanisme sur chaque phrase. Aussi je pense que - mais je le repête, pour ce texte, ca va - cela peut devenir un réflexe d'écriture, un tique, qui te permet d'enrober un récit où le fond ne serait pas à la hauteur. Bref, pour un texte court, tournant sur une idée, c'est bon, mais si tu veux entamer un récit plus long, y intégrer des dialogues, sortir de la première personne, ce décorum stylistique peut devenir un frein énorme.

(mais j'ai pris plaisir à le lire : surtout le coeur du texte)[/quote]

Tu as entièrement raison : le style n'est utilisable que pour un texte court. Je n'aurais pas pu élaborer une histoire plus longue en utilisant ce procédé narratif. Mais ce n'était pas le but: mon objectif (à l'époque ou j'ai écrit ce texte... hélas lointaine) était d'exploiter de nouvelles formes de style narratif. J'ai découvert celle-là. Tu parles de frein énorme, pour un récit plus long. Personnellement, je pense plutôt à une simple impossibilité... du moins avec ma modeste et relative expérience d'auteur.

[quote]Le seul inconvénient se rapporte aux propos tenuent par le personnage au tout début qui donnent l'impression d'être lié au passé, et ce à cause de certains termes assez technique qui y incluent de par leur présence la notion de recule sur les événements, de surcroit en contradiction avec le reste qui, lui, s'apparente au présent.

[/quote]

Je n'ai pas assez de recul nécessaire (je pense que le fait que j'en sois l'auteur joue pour beaucoup dans cet état de fait) pour savoir si c'est un inconvénient. Mais lorsque j'ai entamé l'écriture de cette nouvelle, mon désir était d'exploiter un contraste lexical entre deux associations d'idées : d'un côté la nature, avec sa symbolique de vie et de liberté; de l'autre la création de l'homme (illustrée par le milieu "carceral" d'un asile psychiatrique intemporel), symbolisant la mort et l'enfermement. Le lien entre les deux étant l'oiseau, symbole de la nature, dont l'ombre n'est autre que la Faucheuse.
Pour les notions de passé et de présent, je ne m'en était pas rendu compte. Après avoir lu ton commentaire, puis relu la nouvelle, cela me paraît évident. Je ne sais pas trop quoi en penser...

Merci en tout cas pour vos remarques, pour un auteur c'est toujours un plaisir de découvrir les réactions des lecteurs! Et bien sûr cela fait réfléchir, sur ce que l'on a écrit, mais aussi sur ce qui ne l'est pas encore. En bref, cela contribue grandement à la progression. Encore merci.

Cordialement
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Messagepar Kami sur 30 Mar 2007 23:44

Inconvénient que si l'on prends le texte avec empathie.

[quote="Richard Mesplède"]d'un côté la nature, avec sa symbolique de vie et de liberté; de l'autre la création de l'homme (illustrée par le milieu "carceral" d'un asile psychiatrique intemporel), symbolisant la mort et l'enfermement. Le lien entre les deux étant l'oiseau, symbole de la nature, dont l'ombre n'est autre que la Faucheuse.[/quote]
Parfaitement compréhensible et assimilable des la première lecture. :yeah:
Last edited by Kami on 30 Mar 2007 23:59, edited 3 times in total.
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Messagepar Richard Mesplède sur 30 Mar 2007 23:47

d'accord avec toi Kami!
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