[size=150](De)main[/size]
par Florent Baudry
Il ne c’est rien passé durant vingt ans. Ce fut long. Je suis resté le même, vous aussi.
Puis, il finit par venir un enfant. Il en venait parfois. Ils commençaient à faire partie de l’immobilisme. Des variations prévisibles contre lesquels nous nous étions prémunis. Celui-ci n’avait pas de mains. Elles avaient été arrachées. L’image était correcte, nous étions habitués à pire. L’enfant était venu pour nous parler, c’est à dire parler à vous, à moi et à eux. Son discours était doublé par le même acteur que pour Bruce Willis. C’était nouveau. Il avait fait de la publicité avant, mais on ne l’avait jamais entendu au journal. Et puis l’enfant fit d’autres discours - doublés, sous-titrés, ça dépendait. Parfois, un même discours n’était pas présenté de la même manière suivant les chaînes. La presse écrite transcrivait le discours sur papier.
L’enfant parlait de ses mains, d’autres enfants sans mains, mais aussi d'enfants sans bras, sans pieds, de sa famille morte, du fait qu’il n’était plus un enfant, qu’il faudrait changer les choses, que son pays avait besoin d’aide. S’il avait était italiens, on ne l’aurait peut-être pas compris... c’est ce qu’en résumé racontait une blague sur l’enfant sans mains. Ma mère ne comprenait pas cette blague : « en Italie, il ne les aurait pas perdus » me disait-elle souvent. Ca faisait plus de trois générations que sa famille - la mienne par conséquent - vivait en France, mais elle s’accrochait encore à l’idée qu’elle était plus italienne que française. Mais cela n’a rien à voir avec notre histoire, je crois.
Tout suivait le train-train habituel. Les journalistes se rendaient sur place pour nous dire l’atrocité des crimes commis et ils confirmaient, images à l’appui, les drames vécus là-bas. Les journalistes nous le répétaient : nous devions tous agir. Les politiques disaient en être incapable, que c’était délicat. Ceux du pays de l’enfant sans mains qui avaient immigré en France manifestaient avec des associations... celle de d’habitude et puis une ou deux nouvelles, comme à chaque fois qu’un enfant était venu. Nous patientons ainsi en attendant la coupe du monde. Les journaux nous montraient au dîner les horreurs que nous n’avions pas vues au déjeuner. Plus que trois semaines avant France-Angleterre.
Et puis, on cessa de raconter la blague sur l’enfant sans main. Les journalistes ne filmaient plus le corps des hommes morts et des femmes violées. Ils en parlaient, tout simplement. Les politiques ne venaient plus à la télévision dans les émissions de variétés de Drucker. Et voilà qu’un homme fit quelque chose qui modifia la situation dans le pays de l’enfant sans mains. Un journaliste, un politique... On ne sait plus qui a vraiment commencé. Ce fut un acte de civisme non revendiqué. Et les choses ont changé. Vite. Bien. Et la coupe du monde a eut lieu mais les tribunes étaient vides.
On a tous eus du mal à y croire, ça ne nous coûtait presque rien, juste cesser d’en parler pour le faire, le vivre. J’ai rencontré l’enfant, et bien d’autre. Quand je dis que je l’ai vu, c’est en trois dimensions, dans le monde réel, pas son image plate à la colorimétrie boostée. Non, un petit garçon un peu terne, avec une odeur, une peau et des dents, un enfant sans mains qui nous a guidé vers d’autres enfants. Et puis il y a eut les malades. Nous prenions les problèmes les uns après les autres. Aujourd’hui tout continu. On trouve toujours des gens qui on besoin d’aide. Un jour viendra ou les enfants sans mains s’occuperont de nous, devenu vieux, et ils nous feront manger la soupe en tenant nos cuillères dans les mains synthétiques qu’ils ont reçus.
Il a juste fallu que l’un de nous commence et que d’autres le suivent. C’est tout.
- Voila ce qui c’est passé, dit le narrateur.
- Voila ce qui se passera ! contredit l’auteur - ils ne seront jamais d’accord ces deux là. Voila ce que promet demain. Oui demain. Encore une fois.
- Mais quand sommes-nous aujourd’hui ? demanda l’enfant.
- Hier.