par Amrith Zêta sur 16 Mar 2010 2:10
[size=85]Ouais.
Redimensionne ou enlève les grandes images d'abord.[/size]
Je n'ai pas la patience d'entrer dans des nuances psychanalytiques, et encore moins de définir les différents types d'otaku, leur étiologie, leur psychologie, leur quotidien, leurs réseaux, leurs influences. Ne le prends pas mal, mais le sujet fait l'objet de thèses universitaires et aussi vrai qu'il est possible d'en discuter de façon solide et documentée en des lieux spécialisés, je ne me vois pas passer l'année à remettre les restes de EQ à niveau pour pouvoir aborder cette conversation là, et ce dans l'unique but de vérifier que Hideaki Anno s'adressait bel et bien aux otakus dans NGE, alors qu'il l'a affirmé en interview dix fois, en plus du contenu de l'oeuvre proprement dit. L'interprétation, quel que puisse être son intérêt, passera de toutes manières toujours après la vérité de l'auteur, surtout lorsque cette vérité semble si récurrente - le dernier épisode de [i]Magical Street Abenobashi[/i], qu'Anno a lui-même storyboardé, s'achevait sur une séquence encore plus explicite dans laquelle le père du héros venait lui injoncter de sortir (littéralement) de ses mondes imaginaires, tous inspirés de la culture otaku.
Il n'existe pas vraiment d'exemples spécifiques aux six premiers épisodes, le versant communicationnel étant plus prononcé dans la seconde moitié, mais le cas Shinji est en lui-même significatif. Le voir comme étant une représentation émotionnelle d'Anno, le pire otaku de sa génération, est au moins aussi simpliste que parfaitement exact - à ce titre, il faut absolument regarder au moins une fois les Episodes 25 et 26 en remplaçant Shinji par Anno et les termes "Piloter l'Eva" par "Réaliser Evangelion". Au sortir de son précédent anime et d'un traitement pour troubles bipolaires et dépression en 1991, Anno se terre avec pour idée de ne plus jamais rien produire, fuyant les contacts humains dont il a peur et refusant de vivre une vie d'adulte contraire à sa culture - cf le docu-fiction [i]Otaku No Video[/i]. Il n'accepte l'aventure NGE que parce qu'on le sollicite et qu'il s'attend à une oeuvre courte commercialisée en format OVA, autrement dit créée en vase clos, mais GAINAX et notamment Yoshiyuki Sadamoto lui forcent peu à peu la main pour une série TV - ils lui demandent d'ailleurs aussi de renoncer à ses concepts les plus otakus, en particulier à un casting total féminin. Le célèbre "Je ne dois pas fuir..." de Shinji est, dixit Anno, ce qu'il s'est répété en boucle plusieurs nuits durant afin de trouver le courage de sortir de chez lui pour faire NGE, convaincu qu'il ne valait rien.
Shinji incarne magnifiquement cet état : la solitude est quelque chose de subi, mais lui en petit otaku psychique provoque intentionnellement sa solitude afin de repousser indéfiniment une vie adulte. Il ne peut/veut pas remplir les responsabilités qu'on lui impose, il ne peut/veut pas séduire les filles qui s'entassent autour de lui, il ne peut/veut même pas comprendre quel est le but de la NERV. Il ne désire l'autre qu'à la condition que cet autre n'exige rien de lui, puisqu'il se sent incapable de satisfaire aux attentes, et comme ce rapport est une chimère, le voici à cultiver sans le savoir sa propre solitude. Mais d'un autre côté, retourner chez son mystérieux tuteur anonyme, [i]là où il se contente d'exister[/i], reviendrait à disparaître et à perdre tout ce qu'il a obtenu depuis son arrivée à la NERV, seul endroit au monde où l'on a besoin de lui - "Si tu perds l'Eva tu ne sais rien faire d'autre" équivaut donc à "Tu ne peux rien faire d'autre que réaliser des anime". S'ensuit une série dans laquelle Shinji va composer avec cette ambivalence, et où à chaque amélioration succède une replongée dans la condition d'otaku qui a rendu malade Anno. Le plus ironique étant que la NERV/GAINAX propose à Shinji/Anno de sortir de son état d'otaku à l'aide de jeunes adolescentes dont on voit les fesses tout le temps et de gros robots géants avec des fusils, c'est-à-dire l'attirail officiel : on demande en fait à Shinji et Anno de faire fructifier industriellement, créativement, économiquement leur être profond, en complémentarisant l'animation japonaise. La série elle-même est construite, résumé vulgairement, sur une première partie jouant la débauche d'effets otakus et une seconde désireuse de déconstruire leur univers archi-coloré pour finalement le représenter tel qu'il est : un fond noir et vide. Ce rapport haine/dépendance, très manifeste dans l'Episode 16 - "On ne vit pas éternellement en écartant ce qui est désagréable" - ou dans l'Episode 25 - "A l'opposé de ce que tu hais, tu as créé ton monde à toi", est surtout très caractéristique de la vision du réalisateur sur la culture otaku, et a été reprise par plusieurs autres metteurs en scène qui voulaient paraître profonds à moindre frais. Les six premiers épisodes, hormis leurs allusions multiples à d'autres anime, ne dispensent probablement pas beaucoup de preuves particulières qui iraient dans ce sens - enfin si quand même, du caractère de reclu hikikomori soft de Shinji en passant par Kensuke le military-otaku - mais tu n'es pas sans savoir que la série malgré ses diverses phases est un ensemble chronique.
Anno s'étant depuis ces années plus ou moins fixé, il faudra attendre la fin de [i]Rebuild Of Evangelion[/i] pour savoir si le message restera identique à celui du Old Century ou si au contraire il abondera dans un sens distinct voire opposé. Dans tous les cas, ce sera intéressant.
Evidemment, la solitude tient son rôle et sa part dans le fond, mais sans vouloir offenser qui que ce soit, tous les petits nouveaux sauront le dire et ne s'en privent pas. Certains moi y compris produisions ce genre de commentaires sur NGE avant même que la série ne soit disponible en France. Ca n'est pas une critique, je peux formuler quelques trucs en matière d'anime, par contre si je me mettais à causer comics on me reprendrait toutes les lignes. Mais NGE n'est pas la série la plus dénuée de sens pour que l'on doive la décrire par la surface, surtout lorsque l'on a accès à des informations plus poussées, ce qui est le cas depuis bien des années. Cependant, je ne réponds ceci que parce que tu soulevais le point plus haut : autrement j'aurais laissé couler, le plus important étant de parler de la série avec un souci de présentation et d'honnêteté, ce que tu fais comme il se doit.
[size=85]Après, je comprends aussi la frustration de quelques-uns qui, n'étant pas eux-mêmes otakus, ou pas dans les proportions inconvenantes, se sentent exclus de la donne consécutivement aux explications des auteurs. Sauf que Anno se cantonne à dire que la série ne leur apprendra rien, pas qu'ils ne peuvent pas l'apprécier autrement.[/size]