Les deux derniers épisodes laissent un goût amer, comme d'habitude. Au sens où ils sont réussis :wink: .
[u][b]La femme objet reproductible:[/b][/u]
Le retour de Kimber est plutôt surprenant, dans le sens où on l'avait quitté dans un état pitoyable. L'empathie créee par Murphy à travers son approche compassionnel se transforme ici en sympathie dans la mesure où elle a survécu à son auto-destruction, dont Christian et un collègue étaient responsables. Femme-objet estimée au prix d'une bagnole, elle a surmonté cette comparaison dégradante par l'objectivation de son propre corps.
Chosification, réification, objectivation, tous ces termes suggérant la transformation de l'humain en objet trouvent ici pleinement leur métaphore à travers la poupée gonflable, sosie de Kimber. La femme est un objet à partir duquel on peut construire une industrie reproductible. Le terme de "clone" est plusieurs fois employé. Perspective terrifiante dans le monde américain tel que le décrit Murphy, qui atteint ici son apogée.
Dans le monde tout court, peut-être.
La reproduction du "même" étant un facteur essentiel de l'industrie depuis le taylorisme, et donc un des principes de la société de consommation, il n'y a rien d'étonnant à ce que ce principe s'attaque au vivant: les craintes concernant le clonage étant reliées aujourd'hui à tous types de manipulation génétiques à but lucratif.
Bien sûr on n'en est pas là, et la poupée gonflable reste bien un objet. Mais Kimber insiste sur le plastique utilisé, le grain de peau imité, jusquà vouloir perfectionner son oeuvre...
Or si un objet a un prix, un humain a une valeur (Kant-Marx), et la confusion du prix et de la valeur est le système dépréciatif du corps tel que l'emploit le langage médiatique ou publicitaire à des fins marchandes, langage particulièrement normatif.
La question revient donc sur un plan moral, et sur ce qui est source du désir dans nos sociétés. Les objets deviennent sources de désir et de besoins (souvent inutiles, créant des frustrations aliénantes), jusqu'à remplacer le désir de l'Autre.
Que Sean, en plein déséspoir, se laisse aller à se faire une poupée gonflable montre bien dans quel mesure il dévalorise sa femme, ne désirant désormais plus qu'un objet corvéable et malléable à merci. Du coup, les hallucinations où il voit Julia à la place de la poupée oscillent entre rappel à la raison et déni total de toute valeur accordée à sa femme, qu'il ne considère plus que comme une traitresse. Une traitresse qui a justement brisé son système de valeurs.
Qu'il couche avec Kimber est différent dans la mesure où au moins il y a un véritable désir de la chair. Mais il faut voir dans quel mesure il va l'instrumentaliser.
Le plan final de Sean allongé près de la poupée est saisissant, et exprime le nihilisme total où il s'enfonce.
[u][b]Faux aveuglements[/b]:[/u]
Le dernier épisode en date continue à entretenir la confusion des termes, des images, et des métaphores qui s'y associent.
Le fait que Christian découvre le vrai amour (
) auprès d'une non-voyante est quelque chose de touchant: il "voit" au contact d'une aveugle. D'autant plus qu'il se laisse "voir" et percevoir comme ce qu'il a longtemps été: un "salaud", comme il le dit lui-même. Bel élan de sincérité, qui permet à la jeune aveugle de lui affirmer la part noble de son identité. La belle utilisation du miroir dans le restaurant, devant elle, est un beau moment de mise en scène.
A la culpabilité dont l'accable Sean elle répond par une rédemption qui se joue comme un acte de foi (ce qui est normal pour une série à ce point emprunte de religiosité).
Sean et Christian sont toujours placés en miroir quand ils se lavent les mains: leïmotiv visuel qui indique bien qu'ils sont le reflet l'un de l'autre, reflets que leur dualité intérieure rend presque interchangeable. Dans le cas présent, c'est Sean qui a pris la place de Christian dans le rôle du salaud, poussé par son propre déséspoir à devenir cruel.
Aveuglé par sa haine contre Julia (et on peut dire que Christian s'en tire à bon compte), il refuse de la voir comme une femme éprouvant plus que du désir, c'est-à-dire de l'amour, pour lui. Ayant décidé de devenir à son tour une femme-objet pour lui plaire, elle essuie un refus dévastateur.
kimber s'est approprié son objectivation, et l'assume en gardant le contrôle de sa personnalité. Julia croit faire de même, mais elle ne peut pas s'approprier une objectivation qu'elle a toujours repoussé jusque là. De plus, c'est sa personnalité que juge Sean.
Sean, en niant tout désir à son encontre, à la fois en tant que femme réifiée et que personne morale, avec sa valeur, l'accule à ne plus rien être dans ses yeux: du néant.
C'est fou comme la souffrance peut autoriser à faire souffrir l'autre.
Christian, ne vaut guère mieux que Sean à ce niveau, trop occupé à sauver son amitié et sa collaboration. Sa lucidité ne l'empêche pas de rester sans secours pour Julia. Tous les deux jouent les aveugles devant sa chute, mais aucun ne l'est. A l'aveuglement physique renvoit l'aveuglement moral, sentimental. Sauf qu'ils voient.
Julia ne peut que basculer, et la force qu'elle a entretenu jusqu'ici se brise comme du verre, tant cette force n'était qu'une volonté farouche mais finalement fragile.
Le dernier plan renvoit du coup au dernier plan de l'épisode précédent. Une contre-plongée absolue sur un corps déchu.
Cette série est une spirale à rendre neurasthénique un poisson rouge !
L'agent Squeulit pensait qu'il s'agissait en fait d'une pierre de forme triangulaire