Je commence à me perdre dans les numéros d'épisode ! C'était le ? X ?, celui de la semaine dernière ?
Ce qui m'a le plus interpellé, et qui éloigne en fait un peu des thématiques que nous avons pu aborder, ce sont les références cinématographiques que contenaient cet épisode. Ce qui est frappant est le mélange d'un cinéma-réalité, dont on a pu voir clairement l'inspiration dans la scène où Sean apprend qu'il n'est pas le père de Matt (caméra épaule, instabilité du cadre, avec cependant des artifices bienvenues comme les cuts à répétition, et la crudité des images: vomissement, violence, etc...).
Si on s'en tient à cette base, on ne peut être que frappé par les références utilisées par Murphy dans l'épisode du rêve: Capra, cinéaste humaniste, au premier abord emprunt d'un bonheur triomphant dans nombre de ces films, et qui apparaît à une seconde vision beaucoup plus pessimiste et inquiétant. Cocteau, comme point d'orgue de la contradiction être/paraître.
Ce post pourrait interesser la CinémateQ :wink: !
Un petit mot sur Capra, si vous le valez, euh, si vous le voulez bien (cette pub, ça détruit les neurones
).
[u][b]Capra[/b][/u]:
Il faudrait être un imbécile pour continuer à dire que Franck Capra est un cinéaste qui se remarque par son éternel optimisme aux accents parfois un peu mièvre. Cet homme qu'on peut classer sans hésitation parmis les plus grands cinéastes de tous les temps avait surtout un sens aigüe de l'idéalisme et un sens profond du mélodrame, dans le bon sens du terme.
La trilogie "l'Extravagant Mr. Deeds" (1936) / "Mr. Smith au sénat" (1939) / "L'enjeu" (dont le titre original a une toute autre portée: "State of the Nation", l'état de la nation) en 1948, raconte comment l'idéalisme de personnages venus de la rue peut se conforter sur la Constitution originelle américaine, afin de refuser qu'elle ne soit dévoyée. Ainsi Mr Smith parle sans s'arrêter pendant 24 h. au sénat pour faire passer son discours, ce qui est un droit constitutionnel, tant qu'il ne s'écroule pas de fatigue: les députés sont tenus de l'écouter.
Le film qui nous rapproche ici de Capra est "La Vie Est Belle" (le vrai, pas l'ignoble film de Begnini), datant de 1946, et dont le titre original est "It's a Wonderful Life".
Les plus dignes héritiers de Capra sont les membres de l' "école Spielberg", soit Spielberg dans la première partie de son oeuvre ("E.T") inquiétante derrière son optimisme de façade, et dans la dernière partie de son oeuvre, qui en appelle à un retour aux valeurs fondatrices et progressistes de l'Amérique ("Minority Report", "Amistad").
Et bien sûr ses élèves:Zemeckis avec sa confusion du réel et de l'imaginaire, et surtout Joe Dante avec les impitoyables "Gremlins". Autant de visions cauchemardesques qui revisitent inlassablement le rêve "caprien".
[u][b]Capra convoqué dans Nip/Tuck[/b][/u]
Pas étonnant que "La vie Est Belle" ait servi de modèle à de nombreuses séries ou téléfilms, même un épisode de "Dallas", c'est dire !
[b]Que raconte ce film ?[/b]
Un homme qui a été contraint à vouer toute sa vie aux autres et à sa petite ville (interprété par James Stewart), voit un jour ses bienfaits détruits par la rapacité d'une banque. Ne retenant que le gachis de sa vie, il se suicide en se jetant dans un fleuve. Il s'éveille auprès d'un Ange Gardien qui lui propose de visiter la ville telle qu'elle aurait été sans lui et ses efforts: il ne voit que catastrophe, désolation, ravages provoqués par la dictature du profit. La ruine sombre de l'existence sans sa présence et sa volonté.
Bien sûr je ne raconterai pas la fin, je m'en remet à votre goût cinéphilique :wink: ! Peut-être l'avez-vous vu, d'ailleurs. Surement, même...
Bref, vous voyez où je veux en venir.
[b]Que raconte l'épisode ?[/b]
Julia est endormie, et dans ses rêves elle rencontre un ange gardien, ou du moins quelqu'un qui se présente comme tel, Ava, son "coach de vie".
Quelle aurait été la vie de Julia si elle avait choisi Christian ? Sa vie aurait-elle été belle ? Ava, comme l'ange du film, la prend par la main pour la guider dans cette existence parrallèle. Et comme dans le film, c'est la découverte d'un cauchemard.
En apparence bien dans sa peau, ayant fait le choix de la passion contre celui de la raison incarné par Sean, elle a conformé sa vie aux exigences de Christian: tous deux se sont mutuellement encouragés à une vie "dépravée", sexe, drogue, le tout soigneusement caché derrière une façade bien lisse. Julia finit par se suicider, et retraverser la vitre, qui est ici celle qui partage le domaine de l'imaginaire onirique et de la réalité. Pour comprendre que "ça a toujours été Sean".
Comme chez Capra, le "monde parrallèle", le suicide, amènent à un réveil salvateur. Sauf que le pessimisme souterrain de Capra (qu'il ait été volontaire ou non, ça c'est une autre discussion, très longue) affleure ici à la surface sans se voiler. L'ange est obscur.
Le conditionnement social de Julia, du fait même du métier de son mari ou amant, qui cristallise la déchéance d'une Amérique sans repère, semble inéluctable. Murphy reprend à la fois le procédé de Capra et à la fois son regard sur la déchéance potentielle du rêve américain. La même critique sociale semble se faire écho entre les deux extrémités de ces quelques soixantes années (1946-2005).
A la subtilité subliminale du cinéma de Capra, Murphy préfère une radicalité que le format télévisuel, d'une époque où tout peut être dit, lui permet d'adopter. Mais il puise dans l'oeuvre du maître cette idée de la désépérance de l'effort, ouvrant les vannes du pessimisme complet que Capra se refusait à admettre: pour ce dernier, "il y avait encore quelque chose en quoi croire dans ce monde".
Pour Julia, pas de porte de sortie. Sa déchéance est le miroir (brisé) de la chute de la société qui l'entoure: un bien sinistre "état de la nation"...
[u][b]Cocteau convoqué dans Nip/Tuck[/b][/u]
Il n' ya pas que Capra dont cet épisode s'inspire. Murphy semble être cinéphile.
Il connaît Jean Cocteau, pas de doute.
[b]Cocteau:[/b] cinéaste, poète, peintre, dramaturge, touche à tout de génie: auteur culte...
Son film, "Le Sang d'Un Poète" (1930), fut le premier film à rester plusieurs décennies à l'affiche d'un même cinéma, à New-York. Sa modernité renvoit bien des films contemporains au rancard.
[b]Or, Cocteau a traité d'une thématique qui ne pouvait qu'ébranler Murphy: l'être contre l'apparence.[/b]
Nous avons tous vu "La Belle Et La Bête", avec Jean Marais et Josette Day (1945). A la radicalité poétique du film de Cocteau, il serait d'ailleurs intéressant de faire une étude comparative avec le traitement complètement lisse et dénué de subversivité que lui a fait subir Disney dans son dessin animé homonyme. Ce serait le bel exemple de "l'état d'une nation".
La Bête: une créature monstrueuse, limite lycanthrope, victime d'un sort. Derrière la façade d'animal, il y a un homme, érudit, galant, pur.
Si on voulait rigoler, on pourrait s'imaginer la créature de Cocteau s'assoir devant Sean et Christian: "La bête, qu'est-que vous n'aimez pas chez vous ?".
"Je veux que mon masque disparaisse, que l'humanité qui est en moi devienne une évidence, qu'on me considère pour ce que je suis, et pas pour ce que je parais."
Mais Murphy n'a pas du tout envie de rigoler. Cette phrase imaginaire que je viens de prêter à la Bête est la supplique de Julia, de Sean, de Christian. Chacun rejette sur l'autre la faiblesse de son humanité, Sean trop raisonnable, Christian trop égoïste, Julia trop peu sure d'elle-même, sans qu'aucun ne semble admettre qu'humanité rime avec faillibilité, sans qu'aucun ne cherche à revoir ce qu'il y a de beau dans l'humanité cachée derrière le fard de la déchéance ou de la certitude.
Dans le film de Cocteau, la Bête erre dans un château où la magie anime les pierres. Elle a rendu captive une jeune femme dont elle implore l'amour. Celle-ci déambule aussi, dans des couloirs où des bras sortent des murs et allument les lumières qu'ils tiennent dans leurs mains. Elle avance dans un couloir où les tentures transparentes des fenêtres se soulèvent, voiles diaphanes parmis lesquels elle semble en apesanteur.
Ces plan sont directement repris dans le final de l'épisode, quand dans un travelling arrière on voit de face Julia venir vers Ava. Les bras sont remplacés par les protagonistes de la série, la blancheur ouatée de l'image renvoit aux voiles blancs que le vent transporte.
L'hommage est flagrant. On pourrait le dire par le traitement visuel (rappelons-nous qu'un célèbre clip a aussi rendu hommage à ces plans prodigieux). Mais cela va au-delà, puisque la thématique du film de Cocteau est celle à laquelle renvoit la thématique de la série de Murphy.
[b]
Sauf que de la même manière que pour Capra, quelque chose s'est perdu.[/b]
Dans l'univers onirique de Cocteau, on peut croire aux contes de fée. On peut croire au sauvetage par la magie.
Mais comme la seconde mesure d'un leïmotiv, Murphy assène qu'il n'y a plus rien en quoi on puisse croire dans ce monde.
Pire: le rêve de Cocteau sur les princesses a été galvaudé.
Il n'y a plus comme princesse que celles dont le formatage social a édicté les canons de beauté.
La magie et l'idéalisme se sont retirés loin des prisons du conditionnement social où végètent julia, Sean, Christian et les autres.
La perte de la foi, encore et toujours comme canevas principal, mais pas n'importe laquelle: la perte de la foi en l'Autre.
[u][b]Pour conclure[/b][/u]:
Cet épisode ne répond pas vraiment aux questions que je me posais sur la mysoginie supposée de la série, et de l'aspect coupable de la femme. Mais le choix des références qu'a fait Murphy tend à indiquer que la disparition de toute croyance, religieuse, politique, ou simplement humaniste au sens où on peut croire en l'Autre, est surtout responsable d'une dépravation qui tient moins aux pratiques sexuelles qu'au règne de l'égoïsme de la société marchande.
Je ne sais pas si Murphy instrumentalise ces concepts ou s'il en est profondément affecté: j'aimerais votre avis là-dessus.
Sans me renvoyer au prochain épisode, siouplait
!
Il n'est pas étonnant que Sean, qui est passé du côté ignoble du miroir, soit montré dans le rêve comme d'une bonté presque rousseauiste (je sais, j'exagère), avec son engagement pour ces "français" de Médecin sans Frontières. On dirait Carter dans la dernière saison d' "Urgences" !
Il n'est pas étonnant non plus que christian soit montré comme un parfait salaud dans ce même rêve alors qu'il a tenté de s'amender dans la réalité.
Le problème serait donc Julia, si instable et faible selon Sean.
Retour à la case culpabilité féminine ?
Pas pour elle. Murphy explore les méandres d'une relation à trois, et s'il y a une victime dans l'affaire, c'est bien elle, dans l'insatisfaction que lui procure deux personnes qui, par le hasard du destin, n'en sont pas qu'une.
L'angoisse de la marchandisation de l'humanité chez Capra conjuguée à la conjuration de l'apparence chez Cocteau donne un mélange qui semble vouloir absoudre les personnages.
Encore faut-il qu'il puisse s'absoudre eux-même. Et que Sean entende bien ce que lui dit Julia. Et que Christian assume.
Il y a-t-il une espérance chez Murphy à défaut de croyance ? A mon avis, tout l'enjeu est désormais là. Non ?
L'agent Squeulit pensait qu'il s'agissait en fait d'une pierre de forme triangulaire