[John le Carré] Le Chant de la mission

Qui a peur d'Edgar Poe ?

Modérateur: Amrith Zêta

[John le Carré] Le Chant de la mission

Messagepar N°6 sur 05 Nov 2004 0:22

J'aimerais parler du dernier roman en date du grand, du seul, de l'unique John le Carré, et intitulé [b]Absolute Friends[/b] ("Une Amitié absolue").

[img]http://images-eu.amazon.com/images/P/0340832894.02.MZZZZZZZ.jpg[/img]

John le Carré est un fameux auteur de romans d'espionnage. Ecrivant depuis le début des années 60, il a rédigé certains des plus grands chefs d'oeuvre du genre, dont le célèbre "L'Espion qui venait du froid" (The Spy who came in from the Cold", 1963). Souvent adapté au cinéma (notamment : l'excellent "La Maison Russie", en 90, avec Sean Connery et Michelle Pfeiffer, ainsi que "Le Tailleur de Panama", avec Pierce Brosnan, il y a 3 ans), le Carré a publié son dernier roman en date il y a bientôt 1 an : "Absolute Friends".

Les romans de le Carré ont ceci de passionnant qu'il se situent bien souvent dans le cadre de la Guerre froide, et offrent ainsi un aperçu détonant et original du conflit, au moment même où celui-ci faisait sourdement rage. Pourtant, dès le début, les aventures imaginées par l'auteur n'avaient rien en commun avec les "James Bond" de Ian Fleming ou, plus récemment, avec les écrits de Tom Clancy ("A la Poursuite d'Octobre Rouge"). Car ses romans n'ont que très rarement mis en scène les habituelles fusillades, course-poursuites et autres mondanités avenantes à un espion international dans le folklore littéraire. Les écrits de le Carré ont toujours eu ceci d'original qu'ils ont toujours mis un point d'honneur à s'intéresser à leurs personnages, à leurs motivations, leurs faiblesses, en faisant non pas des surhommes mais au contraire des êtres très fragiles et un peu paumés dans la lutte feutrée menée pendant 4 décennies par les deux blocs mondiaux. Ses romans sont profondément réalistes, crédibles, sobres, et, s'ils lèvent bien souvent le voile sur un aspect bien moins glamour et plus âpre de l'espionnage et de la géo-politique, ils s'attachent surtout à examiner sous toutes les coutures leurs personnages principaux, profondément humains.

La même chose peut être dit de ce dernier opus, "Absolute Friends", qui une fois encore se situe pour sa majeure partie durant la Guerre froide et montre, au détour des aléas de la vie d'un espion britannique, ce à quoi pouvait ressembler la vie dans un pays communiste, les méthodes brutales mises au point par Moscou pour mater les fortes têtes, pour régir la vie des citoyens ('un Etat fasciste et bourgeois sous le déguisement d'une démocratie du prolétariat')... mais aussi les nombreux défauts qui affectent également la vie dans un pays capitaliste tel que l'Angleterre ou la RFA.

Pourtant le livre débute de nos jours, en Allemagne, où un obscur guide touristique cinquantenaire, Ted Mundy, nationalité britannique, fait faire plusieurs fois par jour le tour d'un château bavarois. Mundy, beau parleur et rêveur, en concubinage avec une turque, et qui ne cesse de grincer des dents en lisant les nouvelles en provenance d'Irak... Et qui se rappelle d'une ancienne époque où ce genre d'aventures militaires était déjà monnaie courante. Flash-back au Pakistan, en 1947, juste avant le retrait des troupes britanniques et la partition de l'Inde. Commence alors la biographie de Mundy, fils d'un officier de Sa Majesté qui, dégoûté par la tournure des événements, décide de rester au Pakistan et d'y élever son fils, sombrant dans l'alcool mais plongeant aussi son fiston dans le quotidien coloré du pays. Un fils qui trouvera ensuite son chemin dans le Berlin Ouest des années 60, secoué par les manifestations et protestations anarchistes, alors à leur sommet. Mundy y rencontrera Sasha, le leader des étudiants révoltés contre l'impérialisme bourgeois des Etats-Unis et de leurs alliés capitalistes. Constituant la première partie du roman, l'épisode berlinois est passionnant, nous faisant découvrir la vie d'un étudiant au milieu des barricades et des actions coup de poings de jeunes étudiants idéalistes qui se révoltaient alors partout dans les pays occidentaux, mais dont les actions prirent un tour tout symbolique dans la ville du Mur. Et la dure répression policière qui s'ensuivit. Amours étudiants, passions révolutionnaires, squats délabrés, manifestations réprimées à coups de matraques, entonnement de l'Internationale... Les années 60 ont décidément été quelque chose, et plus particulièrement à Berlin. Et parallèlement à ce cadre historique plus vrai que nature, une amitié indéfectible se tisse entre Mundy, le gentil petit bourgeois anglais qui ne sait pas trop ce qu'il fait là, et Sasha, l'allemand révolutionnaire, le fils d'un pasteur luthérien, digne successeur de Marx et Trostsky. Une amitié improbable, mais qui se solidifie sous les coups de matraque de la Polizei.

Puis suit la deuxième partie, la plus importante du roman, qui voit Mundy adulte, dans les années 70 puis les années 80 dominées par le triomphe du néo-libéralisme à la Thatcher, ambassadeur culturel au service du British Council... et espion. Voyageant à travers toute l'Europe de l'est sous couvert de missions culturelles, Mundy exerce en sous-main pour les services secrets... avec l'assistance de Sasha, devenu quant à lui un espion à la solde de la Stasi... et un double-espion roulant aussi pour les Anglais. Drôle d'amitié qui perdure pourtant jusqu'à la chute du Mur et le temps des remises en questions, où le Carré prend le temps de continuer à approfondir ses personnages, leurs motivations, leurs rancoeurs, leurs faiblesses, leurs illusions, leur idéalisme, leurs espoirs, au sein d'un monde bien plus cynique qu'ils ne le seront jamais.

Enfin, la troisième partie, revenue à nous jours, et dont je ne dirai rien, sinon qu'elle aborde la question irakienne. Car Mundy, pour toutes ses caractéristiques de bon petit bourgeois anglais, a toujours le coeur ancré à gauche et, surtout, en a vu bien trop durant sa carrière pour croire une seule seconde les arguments publics des Américains pour justifier de la guerre. C'est un vieux renard, il sait reconnaître une magouille politicienne quand il en voit une, il se rappelle l'affaire du Canal de Suez, le Pakistan... De même pour Sasha, qui finira par croiser à nouveau les pas de son vieil acolyte, eux ces deux dinosaures de la Guerre froide dégoûtés par l'invasion de l'Irak et bien décider à rendre justice à leur combat berlinois des années 60... Où l'Islam joue une place importante, le terrorisme international aussi (mais pas de la façon attendue), où l'impérialisme américain se fait plus pressant que jamais... Et où les faucons néo-conservateurs, à l'origine de la guerre, semblent prêts à tout pour rallier tous les pays à leur croisade 'contre la terreur et pour la démocratie'...

"Absolute Friends", comme son nom l'indique, doit être avant tout lu comme l'évolution, au cours de 35 années, de l'amitié entre Mundy et Sasha, la transformation soudaine de leur relation en amitié indéfectible, qui résiste aux coups de butoir du KGB, de la CIA, et de l'Histoire... Le Carré emploie encore un style prodigieux, très à l'aise, parfois léger et souvent mordant, plein d'ironie, d'humour et porteur de réflexion, décrit avec minutie la vie pas si fun que ça d'un espion (marié, pour arranger les choses), qui rencontre son meilleur ami dans des ruelles sombres de Gdansk, Budapest ou Moscou pour échanger des micro-films et autres documents sensibles, tandis que tous deux doivent faire face au poids que représente leur famille, ou l'absence de celle-ci. Le Carré a déjà employé pareille mécanique, notamment dans "Le Tailleur de Panama", qui lui traitait de l'invasion par l'armée américaine de l'île de Panama au milieu des années 80. Mais, encore une fois, si le Carré se plait à raconter la grande Histoire en empruntant la grande porte comme la porte de service, il n'oublie jamais que le vrai intérêt de ce roman, ce sont ses deux personnages principaux, et la façon dont tous deux évoluent dans leur façon de considérer le monde à travers tant de péripéties.

Et donc, comme je le disais plus haut, l'Irak, et un climax terrifiant qui vous mettra à genoux devant le machiavélisme des autorités américaines, leur manipulation du terrorisme international à des fins toutes personnelles, la manipulation médiatique qu'ils orchestrent avec brio, si aidés qu'ils sont par la stupidité et le bon-vouloir des médias occidentaux (mais vive la France, comme le démontre si bien l'auteur héhé). Et rappelez-vous : l'action dans cette troisième partie se situe [b]après[/b] l'invasion de l'Irak... ;)

Et dire que tout ceci est mis en relation avec 50 années de géo-politique agressive, avec les joutes de la Guerre froide, avec l'idéalisme de certains, qui se battaient pour une société meilleure, contre le Vietnam, contre Nixon, Reagan, Thatcher, contre le (néo-)colonialisme, que tout cela est mis en relation avec la naissance douloureuse du Pakistan, des aventures comme celle de Suez, le conflit israélo-palestinien... Ce n'est pas un roman-fleuve que livre ici le Carré (380 pages pour l'édition paperback anglaise), mais c'est pourtant un livre somme, dans lequel tout est mis en relation, où il n'y a pas de hasard, où les combats d'hier sont ceux d'aujourd'hui, où Porto Alegre, Seattle, Gênes, sont les nouveaux points de ralliement des contestataires, et l'Irak le nouvel objet des vélleités de la puissance américaine. Un éternel recommencement, l'histoire ? Pas vraiment, car elle ne s'est jamais arrêté, et le 11/9 et ses conséquences ne sont pas tant une coupure, une nouvelle étape, que la suite logique de 'tout ce bordel'. Un bordel dans lequel se retrouvent embringués deux hommes qui largués à leur insu au beau milieu des secousses de l'Histoire.

Bref, excellent roman, dont on a peu parlé mais qui vaut carrément le détour !!
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Messagepar Guigui sur 05 Nov 2004 11:29

[quote]Bref, excellent roman, dont on a peu parlé mais qui vaut carrément le détour !![/quote]
En tout cas, tu le vends bien : tu m'as bien donné envie de le découvrir (je le met sur ma liste des livres à acheter).
:lit:
[url=http://forum.ouaisweb.com:/viewforum.php?f=77][b]Qui a dit que la fin du monde c'était pas télégénique ?[/b][/url]
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Re: cool

Messagepar N°6 sur 05 Nov 2004 19:51

[quote="Guigui"]
En tout cas, tu le vends bien : tu m'as bien donné envie de le découvrir (je le met sur ma liste des livres à acheter).
:lit:[/quote]

Tant mieux, parce qu'il le vaut bien, vraiment, difficile de rester indifférent devant pareille histoire, pareils personnages et pareil style. Le Carré est un maître, best-sellers ou pas on s'en fout la qualité est tjrs au rendez-vous.

Sinon pour en savoir plus je vous invite à visiter les pages suivantes :
- [url=http://www.fnac.com/Shelf/article.asp?OrderInSession=1&Mn=1&SID=16fa0483-c317-6dae-7dc5-85b038c96346&TTL=061120041940&Origin=FnacAff&PRID=1522509&Ra=-1&To=0&Nu=1&UID=09ac2b8c7-2059-9b79-4eb4-794bb5d397de&Fr=-1][u]fnac.com[/u][/url]
- [url=http://www.amazon.fr/exec/obidos/tg/detail/-/books/2020633434/reviews/ref=cm_rev_more_2/171-2470799-2910612][u]amazon.fr[/u][/url]

D'ailleurs, pour une fois le mot de l'éditeur est assez juste, notamment sa conclusion : [i]Portant un regard désabusé sur les agissements machiavéliques d'une Amérique drapée dans sa bonne conscience, Le Carré dénonce aussi la veulerie aveugle de ses contemporains. Son message désespéré hantera le lecteur longtemps après la dernière ligne[/i] Ca c'est clair, ça me hante bon sang...

[img]http://images-eu.amazon.com/images/P/2020633434.08.MZZZZZZZ.jpg[/img]
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Messagepar N°6 sur 04 Oct 2007 20:44

Je ne l'ai pas (encore) lu, mais je signale tout de même la sortie du nouveau Le Carré : "Le Chant de la Mission", dont on dit beaucoup de bien. Si vous aussi la rentrée littéraire et ses quelques 750 livres (!!) vous fatigue, si vous aussi vous n'avez rien à brosser des prix littéraires, alors relax et suivez mes conseils ô combien avisés : rien de tel qu'une valeur sûre comme Le Carré.

[img]http://www.decitre.fr/pi/25/9782020898225TN.gif[/img]

Pour en savoir plus : [url=http://www.decitre.fr/livres/fiche.aspx?code-produit=9782020898225&part=NEOL_2007_10_RG][u]ici[/u][/url]
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Messagepar N°6 sur 04 Oct 2007 20:47

Voici la critique du Monde :

[quote][b]"Le Chant de la mission" : John Le Carré sur la piste congolaise[/b]

LE MONDE DES LIVRES | 20.09.07 | 12h52 • Mis à jour le 20.09.07 | 12h52

Ce qui frappe d'emblée dans Le Chant de la mission, c'est le rythme d'une voix nouvelle. Cette voix n'est plus celle du narrateur anonyme qui - de L'Appel du mort à Une amitié absolue - savait tout d'une histoire accomplie et nous en distillait les épisodes au passé. La voix qui raconte allégrement Le Chant de la mission est une voix qui dit "je" et parle au présent, celle d'un homme de 29 ans, un "zèbre", c'est-à-dire le fils naturel d'"un bouseux irlandais missionnaire catholique" et d'une villageoise congolaise du Kivu.

Cet homme s'appelle Bruno Salvador, dit Salvo. Il est né dans un couvent où sa mère l'abandonna après avoir vécu "trois mois d'amour vache entre les mains des carmélites". Il a été élevé en Angleterre, dans un sanctuaire du Sacré-Coeur, où un Frère Michael l'a initié à la sodomie et a exploité son "oreille de mainate" et sa "mémoire d'éléphant" en lui faisant apprendre le français et un grand nombre de langues africaines. Bref, à 29 ans, Salvo est une réussite de la Grande-Bretagne multiculturelle : brillant interprète, marié à une Pénélope blanche, riche et journaliste à succès, il couronne cette réussite en mettant ses talents de polyglotte africain au service discret de Sa Majesté. Il y a du Kim, celui de Kipling et du Grand jeu, dans ce personnage "entre deux rives", passerelle entre les humains, serviteur de l'Intelligence et "seule personne indispensable à tous". Il y a aussi - dans l'alacrité et la verdeur de la phrase - du Tristram Shandy et du Tom Jones, comme si cette oeuvre à voix de bâtard était aussi une façon pour l'auteur de renouer avec le coeur du roman anglais, les récits picaresques du XVIIIe siècle.

Nous avions - dans ses tout derniers romans - quitté Le Carré au paroxysme de sa deuxième période, dans la reconversion des "spy stories" de la guerre froide en fictions de plus en plus radicales, dénonciatrices des multinationales (La Constance du jardinier) et du néo-impérialisme bushien (Une amitié absolue). Les anciens protagonistes, Georges Smiley et son adjoint, Peter Guillam, entre autres, exécutants dociles d'une politique sur laquelle ils ne se faisaient pourtant pas d'illusions, avaient cédé la place à des personnages qui voulaient redresser les torts et rappeler les consciences à leur devoirs (Oliver Single, Justin Quayle, Ted Mundy). Ce mouvement de radicalisation n'allait pas sans un penchant à l'éditorial, une tendance à transmettre au lecteur des messages sympathiques, mais qu'il pouvait avoir lus ailleurs. Rien de tout cela dans ce Chant de la mission, roman un peu plus court que les précédents et qui a justement la force de ce qu'on n'y trouve plus.

L'oeil de Le Carré n'y a rien perdu de son acuité, et l'intrigue est celle d'un projet destiné à "apporter la démocratie et le développement au Congo oriental", autrement dit un putsch permettant de s'en approprier les richesses minières. Ce complot est fomenté par un "Syndicat anonyme" qui regroupe à Londres des capitalistes, un conseiller New Labour, un ancien ministre africain et un lord incorruptible. Le tout sous l'oeil distant mais intéressé des services secrets. Ce putsch a besoin, pour réussir, de l'alliance de seigneurs locaux, tous d'ethnies différentes et tous prêts à s'égorger. Tâche de Salvo : être l'interprète d'une réunion à huis clos destinée à mettre tout ce monde d'accord sous l'égide du "Syndicat". Sur l'ensemble plane, comme une ombre, une épigraphe tirée du récit de Conrad, Le Coeur des ténèbres, et selon laquelle la conquête de la terre africaine par les Occidentaux "n'est pas une fort jolie chose".

C'est dans ces ténèbres que Salvo va devoir plonger pour s'inventer ce qu'il croyait déjà détenir : une liberté. Cela lui sera d'autant plus difficile que sa tâche le projette bien au-delà des figures classiques du double jeu : endossant un pseudonyme, il agit publiquement dans le rôle d'un Brian Sinclair émergé, mais espionne secrètement pour son chef au titre d'un Brian Sinclair immergé, tandis qu'en lui-même Bruno Salvador essaie de sauver son âme en trompant tout le monde. Il n'aura pour seul viatique que le souvenir d'une nuit d'adultère avec Hannah, infirmière kivutienne installée à Londres, esprit militant, cuisses enthousiastes et coeur généreux.

La suite sera à la fois plus tragique et plus comique. Ici, et contrairement au Tailleur de Panama où le rire l'emportait, Le Carré n'essaie surtout pas de trouver une issue à cet affrontement des tons, il en joue. Et à ce jeu virtuose, le vieux chant des élèves de la mission ("qui parle d'une petite fille qui promet à Dieu de protéger sa vertu contre tous, et en retour Dieu l'aide") n'est pas à prendre à la lettre comme emblème d'un récit où le grotesque vient de plus en plus informer les actions humaines. De la même façon, il y a plus de trente ans, une comptine, "Tinker, Taylor, Soldier, Spy", servit de titre au roman que nous appelons La Taupe. Les signes d'enfance recyclés par la folie des adultes : au-delà des différences de monde et de forme, il y a là de belles récurrences de motifs.

Dans cette permanente mise en regard de la politique et de la fiction qu'est l'oeuvre de John Le Carré, les récits de la guerre froide disaient un "sens". Des hommes pouvaient s'y salir les mains, dans des actions ressemblant à celles du camp d'en face, mais il y avait quand même de la victoire, fût-elle sans rédemption. Dans les récits de la seconde période, l'action resurgissait comme possibilité d'une rédemption, fût-ce dans la défaite. Avec Le Chant de la mission, c'est quelque chose de plus pessimiste qui s'énonce, et de plus littéraire : il n'y a pas d'un côté l'action politique et de l'autre la fiction, c'est toute la politique qui est une fiction, à cela près qu'elle est plus destructrice que les autres, même si cela ne suffit pas à désespérer Honoré Amour-Joyeuse, dit Haj, authentique picaro du roman : "Nous avons des gosses avec la polio et la peste, et 3 millions de dollars d'argent sale qui leur sont tombés dessus. Un jour peut-être aurons-nous même un avenir."



[u]Bibliographie[/u]

L'Appel du mort (1961)

Chandelles noires (1962)

L'Espion qui venait du froid (1963)

Le Miroir aux espions (1965)

La Taupe (1974)

Comme un collégien (1977)

Les Gens de Smiley (1980)

Un pur espion (1986)

La Maison Russie (1989)

Le Directeur de nuit (1993)

Notre jeu (1995)

Le Tailleur de Panama (1996)

Single & Single (1999)

La Constance du jardinier (2001)

Une amitié absolue (2003)


http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0 ... 828,0.html

[/quote]
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Messagepar N°6 sur 04 Oct 2007 20:50

Enfin, vous pourrez lire un court récit de Le Carré, en lien avec son roman et narrant son périple au Congo, sur le site du Monde (rendons à César... !), [url=http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3260,36-957439@51-946828,0.html][u]ici[/u][/url]
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