J'ai beaucoup apprécié cette anthologie, toutes les nouvelles ont leur intérêt, même si elles sont de qualité inégale. Tous les auteurs sont conscients des implications psychologiques de l'oeuvre de Barrie, et essaient, avec plus ou moins de bonheur, d'en souligner les caractéristiques et de les approfondir. Certaines se déroulent à Neverland, d'autres dans notre monde, aujourd'hui, hier, dans le futur, voire sur une autre planète. Certaines sont tragiquement réalistes tandis que d'autres optent pour le fantasmagorique, ce qui donne une hétérogénéité spectaculaire au recueil, offrant des perspectives parfois très différentes du mythe de Peter Pan. Mais qui toutes ultimement se rejoignent dans leur hommage à Barrie et son invention.
Quelles sont les nouvelles que j'ai préféré ? Je dois avouer que celle de Fabrice Colin, "Une autre fois, Damon", est bouleversante. C'est sans doute l'histoire la plus crédible, la plus 'terre-à-terre' (les lecteurs de la nouvelle noterons l'ironie), et partant, du fait de son sujet ô combien tragique (la perte d'un enfant), la plus prenante. Colin use d'un style parfait pour l'histoire, l'aspect journal intime est lui-aussi parfait pour retranscrire la lente décadence du père meurtri, et les photos qui essaiment la nouvelle apportent une aura mystérieuse et fascinante à l'histoire. Il s'agit sans doute de la meilleure histoire du livre.
Dans un registre proche, "Ces Ailes que je n'ai jamais eues", de Claude Mamier, est elle-aussi bouleversante, se centrant sur un enfant paralysé depuis qu'il a sauté du toit de sa maison, essayant d'imiter Peter Pan. Rien de mélodramatique, comme dans la nouvelle de Colin, mais une approche sensible et délicate, et une connexion directe avec Peter Pan.
Des histoires se déroulant dans l'univers de Peter et à Neverland, ma préférée est celle d'Ayerdhal, "Le Réveil du Croco". Je trouve l'idée très pertinente, et le début très intrigant. La première phrase dit ainsi : 'Je suis né quelque part entre le Tigre et l'Euphrate, le jour où l'Homme a inventé l'écriture'. C'est cela aussi qui est amusant avec cette anthologie, le fait de ne jamais savoir où vont nous embarquer les auteurs, dans quel univers, quel style ils vont adopter, quelles histoires saugrenues ils vont bien pouvoir nous conter. Et ainsi de se retrouver sur le satellite jovien Europe, de suivre les aventures de Superman et Supergirl (si si), etc. D'ailleurs de ce point de vue là la nouvelle du grand Jean-Pierre Andrevon, "SuperPan et les morts qui rêvent", bat tous les records de foutraquerie. Ou, dans un registre à nouveau beaucoup plus grave, de se retrouver dans les tranchées, en pleine bataille de la Somme... (excellente nouvelle de Johan Heliot, "Idylle du temps des ombres"), ou dans un camp de concentration, qui voit le rêve imaginé par Barrie à l'orée du XXiè siècle exterminé méthodiquement par les Nazis ("Raven.K", de Xavier Mauméjean). Comme je le disais, le ton et le sujet des nouvelles sont très disparates, et on passe aisément du rire aux larmes, à mesure que les auteurs choisissent d'aborder Peter Pan légèrement ou tragiquement, qu'ils choisissent d'en souligner l'aspect utopique ou sombre, qu'ils s'apesantissent sur le caractère joyeux et insouciant de l'oeuvre ou sur ses implications plus ténèbreuses, qu'ils choisissent d'en perpétuer la félicité ou de la mettre en contraste avec le monde réel. Ce dernier aspect est d'ailleurs au centre de "Un Peter Pan", de Georges-Olivier Chateaureynaud, qui imagine un milliardaire souffrant du syndrôme de Peter Pan, cherchant à recréer l'univers de JM Barrie et s'y immerger mais qui va être rattrapé par la réalité...
Enfin, dans le registre comique, l'anthologie s'avère également une réussite, notamment avec l'amusant "La Perruque du Juge" de Christine Dufour, qui établit un parallèle amusant entre Peter Pan et Michael Jackson (quelle ironie d'ailleurs d'imaginer un Peter passant en procès, condamné à être réincarné dans la peau de Michael Jackson... et de constater aujourd'hui que Jackson à son tour passe devant les juges !). "Saloperie de Fée !" également, d'Anne Duguël, si elle ne mange pas de pain, m'a fait éclater de rire avec sa chute inattendue. En effet, saloperie de fée !
Bref, anthologie très sympathique, hétérogène, passionnante à mesure que l'on découvre la façon qu'ont choisi les auteurs pour s'attaquer au mythe, en fonction de leur sensibilité, et qui tous réussissent à mettre en exergue un aspect pertinent de Peter Pan, et nous démontrent toute la portée, les sous-entendus et les implications d'un conte qui a décidément énormément de ramifications. Bien sûr, il y en a de moins bonnes, mais la charité chrétienne me force à les passer sous silence. Et puis, leur nombre est très limité, et même elles ne peuvent pas être qualifiées de raté. Inférieures, seulement. :wink:
Si quelqu'un m'a compris c'est que je n'ai pas été clair.