Bon je sais que cette review (c'est pour toi N°6) aurait plus sa place dans le topic "livres à conseiller" mais bon... tant pis.
CHUCK PALAHNIUK
1/ FIGHT CLUB (1999)
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Ce livre est passé à la postérité grâce au film éponyme de David Fincher. Lorsque Fincher le lit, le bouquin n'est pas encore sorti et le dévore en une nuit. Au petit matin, il appelle son agent et la productrice de la Fox qui lui a conseillé de le lire... Fincher est prêt à vendre sa mère pour réaliser ce film. Pourquoi ?
Car "FC", le livre, est une bombe atomique, au moins autant que le film qui l'a suivi.
Après avoir vu le film, je me suis rué sur le bouquin, qui venait de sortir en France, chez Gallimard et le choc a été intense, même après avoir vu le film. Pourtant, le film y est si fidèle que l'on peut dire que c'est une des meilleures adaptations qui ai jamais été faite (avec "High Fidelity" de Nick Hornby).
Un choc. Car Palahniuk développe ici une langue et une littérature de l'an 2000. Là ou Easton Ellis se penche sur de nombreux détails, sur de nombreux personnages dans des livres somme, Palahniuk va à l'essentiel.
Le perso principal n'a pas de nom.
Les phrases sont courtes, tranchantes comme un scalpel. Il répète les mots, les met à la ligne et peu à peu, nous met dans la tête perturbée du Narrateur. Peu à peu, Tyler Durden apparaît, comme une tumeur dans la vie de Narrateur, puis lui fait voir un autre pan de la société.
La fureur qui se dégage des mots de ce bouquin est indescriptibles. Les combats sont décrits avec tant de hargne mais en si peu de lignes...
Le style Palahniuk est né avec FC et il est sans doute LE style du nouveau millénaire. En privilégiant une écriture rapide et concise, où les phrases s'enchaînent pour mieux s'entremêler, Palahniuk décrit à la perfection ce qu'est devenu le monde moderne : une boule tournant sans jamais s'arrêter, où plus rien n'a de sens, où plus personne ne sait où aller.
Le propos est brillant, intransigeant, violent, subversif... Le style l'est tout autant.
Soyons clairs : FC est l'un des chef d'oeuvre moderne de la littérature américaine moderne. Aux USA, les plus grands écrivains frémissent et attendent que Palahniuk fasse ses preuves mais déjà, le plus grand d'entre eux, DeLillo adoube son poulain, de façon implicite.
Palahniuk, c'est le DeLillo des années 2000, mais ses propos philosophiques et ses réflexions sont véhiculées par un cynisme sans nom, une violence à fleur de peau que chacun d'entre nous peut ressentir, mais aussi par un humour hilarant.
Bref, FC est à lire, relire, rerelire... Aussi puissant que le film.
2/ SURVIVANT (2001)
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SUJET :
Tender Branson est dans un avion qui est sur le point de s'écraser. Il va nous raconter son histoire : celle d'un rescapé d'une secte vouant un culte à la mort, qui, par des circonstances troubles va se retrouver sur le devant de l'actualité...
Mon résumé est trouble, mais il serait insupportable d'en dire plus car cela serait trop !
Autant le dire tout de suite, j'attendais le second roman de Palahniuk avec fébrilité et lorsque "Survivant" est sorti en France, en mars 2001, mon coeur basculait entre excitation et peur de la déception...
Mais volilà, "Survivant" est meilleur que "Fight Club". Palahniuk a gommé les éventuelles erreurs de FC pour en faire des forces. Son style découpé et tranchant, où les mots se répètent à la ligne, parfois à l'infini, est ici décuplé, en une sorte de mantra spirituel et malsain.
La force de "Survivant" est d'abord dans son sujet : là où FC analyse la rebellion de trentenaires réalisant "qu'ils ne pourront jamais être rock star alors que la société le leur a fait croire", Survivant, lui, décrit avec jouissance et perversité les rouages viciés du star system et de ses implications. Survivant, c''est une critique avant l'heure de la célébrité à deux sous, celle que l'on obtient sans effort, sans talent. Prophétique et profondément offensif, Survivant vous fera hurler de rire tant Palahniuk pousse la caricature loin. Mais la justesse de cette caricature lui permet aussi de vous faire sombrer dans des moments inquiétants où mort, sexe, cultes religieux s'entremêlent...
Foncièrement trippant et original, Survivant est de loin le meilleur roman de Palahniuk, mais pour moi, il est surtout le meilleur roman écrit depuis 10 ans. Sans rire.
Lire ce bouquin a été pour moi un catalyseur. Après l'avoir fermé, je me suis juré de ne plus jamais remettre au lendemain mes rêves d'écriture, peu importe mon talent. Quatre mois plus tard, j'en avais fini avec mon premier roman conscient qu'il fallait que je sorte le plus de choses d''un coup. Voilà ce que j''ai appris de Palahinuk : vomis tes tripes dans ton premier roman, peu importe la qualité. Et met tout ce que tu as dans le second. Le second, voilà trois ans que j'y travaille. Alors certes, je n'arrive pas à la cheville de Palahniuk mais cet auteur a changé ma vie.
Et changera la vôtre, promis.
P.S : Survivant est original jusque dans sa forme... Vous verrez que dans ce livre, les nombres ne se suivent pas comme dans un livre normal... Mais chut ! découvrez tout ça par vous même...
3/ CHOKE (2002)
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SUJET : Choke, c'est l'histoire de Victor Mancini, drogué du sexe, qui partage sa vie entre un boulot merdique dans un parc d'attraction médiéval, ses réunions de Sexooliques anonymes et son loisir préféré. Ce loisir : s'étouffer dans les restos pour que quelqu'un le sauve. L'empathie victime-sauveur est le loisir de Victor...
Si vous avez aimé FC et Survivant, il vous faudra deux lectures pour aimer celui là.
De prime abord moins bon que les deux premiers, Choke devient vite un tourbillon hypnotique quand on se penche fermement dessus.
Nihiliste à souhait dans son propos, ne lésinant ni sur le cynisme le plus ignoble, ni sur les scène de cul les plus poussées (sans compter les hilarantes confessions des Sexooliques Anonymes !!), Choke est une bombe à retardement. C'est quelques jours après l'avoir fini, qu''il vous sautera à la gueule, lors de moments quotidiens anodins ou intimes...
Au resto avec vos potes, ou au lit avec votre douce, ou au boulot à une réunion... Choke viendra sonner quelques clochettes malsaines au fond de votre boîte cranienne...
Niveau forme, Palahniuk abandonne un peu son style tranchant et découpé pour adopter un style plus classique (bien que toujours aussi incisif) qui rappelle parfois du Hubert Selby Jr (gros compliment). Déception formelle qui devient rapidement une force, Palahniuk s'affranchissant de ses tics pour aller vers quelque chose d'encore un peu plus brut dans le roman qui suivra...
Choke est un roman provocataur, agitateur, fondé sur le désespoir et le nihilisme, sur la perte des repères familiaux, sur le dérèglement émotionnel des sociétés modernes.
Quel grand roman. Moins percutant que FC, moins flashy que Survivant mais un putain de grand roman. A vous de juger, maintenant.
4/ MONSTRES INVISIBLES (2003)
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SUJET : Shannon a tout pour elle : mannequin, jeune, jolie, maquée et entourée d'amis. Un équilibre qui va voler en éclat le jour où elle reçoit une balle perdue et se voit défigurée à vie. A l'hôpital, elle rencontre le transexuel Brandy Alexander, qui va lui faire découvrir un monde invisible, fait de monstres rejetés par toute une société...
Palahniuk continue ici son analyse du monde de la célébrité. Avec une aisance sans pareille, il parvient à nous dégoûter de ce monde people en quelques lignes. Pour rapidement gangréner vers le monde entier... Encore une fois, les persos sont des parias qui vont se battre pour exister.
Mais chez Palahniuk, rien n'est beau, rien n'est facile. Car les parias ne peuvent se battre avec des armes utopiques. Alors ils utilisent leur invisibilité pour flouer le monde, le pervertir...
Roman déconcertant mais surtout extrêmement déstabilisant par son propos et son déroulement, "Monstres Invisibles" finit d'asseoir la grandeur de son auteur.
Ecrit comme un magazine de mode, avec renvois de pages et autres gimmicks hilarants, "MI" fourmille d'idées stylistiques. Le style tranchant de Palahniuk trouve ici son apogée, tant le monde de la mode et ses préceptes définitifs s'y accordent bien.
Comme ses autres romans, "MI" est difficile à critiquer car en parler, c'est le déflorer. Alors pour vous éviter de découvrir ce que certains ont eu le malheur d'écrire dans les journaux (honte à eux de déflorer autant de choses tout ça pour écrire une belle critique), je vais me taire et juste vous dire : MI est à nouveau un putain de grand roman, où Palahniuk parvient à renouveler son style, renouveler son propos, où chaque page vous fera frémir d'effroi, de rire cynique. Vous hocherez la tête d'acquiescement. Vous ne pourrez croire à tant d'ignominie. Et pourtant, en le refermant, à la fin, vous ne pourrez vous séparer de cette histoire. car comme tous les Palahniuk, elle vous hantera pendant de longues semaines....
Voilà pour ses romans sortis en France.
Son prochain "Lullaby" est prévu pour février mars 2004 mais peut déjà se trouver en poche américain. Personnellement, je ne l'ai pas lu car je trouve que son style est devenu si précis que le lire en anglais me prive de quelques subtilités (hé non, je ne suis malheureusement pas bilingue comme toi N°6 !).
Mais voilà, ça y est, je l'ai lu !! Puisque ce post datait de septembre 2003 sur le vénérable LVEI Forum, j'édite le message et ajoute ma petite review de "Lullaby", traduit "Berceuse" en France.
A peine sorti, déjà acheté et lu en deux jours (deux nuits plutôt)...
C'est parti :
5/BERCEUSE (2004)
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Sujet : Carl Streator, journaliste d'une quarantaine d'années mène une enquête de fond sur la mort subite du nourrisson. Il comprend que tous les parents ayant perdu leur enfant de la sorte ont en fait lu à leur bébé une berceuse tirée d'un livre de comptine très précis. Carl comprend peu à peu le pouvoir mortel de cette berceuse...
Là encore, je ne fais qu'un résumé sur les 40 premières pages, histoire de ne pas vous dévoiler l'entièreté de l'intrigue et vous laisser découvrir ce livre dans tous ses méandres et dans toutes ses surprises.
Evitez d'ailleurs de lire le résumé de quatrième de couverture car je le trouve trop complet....
Alors ! Où en est-on avec Palahniuk ?
Eh bien force est de constater que le monsieur n'a pas perdu la main. On pouvait redouter que l'aspect surnaturel voire mystique du sujet soit trop éloigné de l'univers habituel de Palahniuk. Même si ses livres ont toujours fleurté avec l'extraordinaire et le marginal.
Honnêtement, ce livre aurait pu être un XF ultime. Sans rire.
On y trouve à nouveau le style tranchant et brut de Palahniuk qui évolue toujours, créant de nouveaux gimmicks d'écriture et de nouvelles manières de détourner l'attention du lecteur, et de l'embarquer dans un voyage littéraire absolument passionnant. C'est simple. Chaque chapitre est un thriller en soi, tant Palahniuk sait ménager la tension et le morbide des situations. De sorte qu'il est impossible de s'arrêter de lire.
Mais la grande force de ce roman, outre son style imparable et toujours aussi original, c'est sans conteste les messages sous jacent. Nombreuses sont les pages où Palahniuk livre un regard désespéré sur le monde actuel. Cynisme et mélancolie sont ici mêlés pour dépeindre la corruption morale, économique et mercantile de nos temps modernes ("Fight Club" n'est d'ailleurs pas toujours très loin...)
En stigmatisant également l'hystérie sécuritaire, Palahniuk livre une analyse démentiellement noire des sociétés dites démocratiques. D'autant que le monde tel que Palahniuk le décrit si la berceuse était dévoilée publiquement est si terrifiant que "1984" n'est pas loin. Big Brother est d'ailleurs maintes fois cité ici, mais d'une manière fine et intelligente où Palahniuk se penche à nouveau sur nous et notre présent plus que sur un futur quelconque. Scary. Car que ce serait le monde si toute oeuvre était suspectée d'être mortelle comme la berceuse ? On brûlerait toutes les oeuvres trop agressives et sombres et underground par peur qu'elles soient mortelles. Et on aurait le silence et des "oeuvres" contrôlées, surveillées, marketées... cela ne vous dit rien ???
Bref, si ce ne sont que des détails dans un roman de 315 pages, l'univers développé autour et les questions posées sont passionnantes.
Enfin, d'un point de vue purement narratif, ce roman est brillant. L'histoire est intelligente, sombre, glauque, drôle, cynique, prenante... Bref.
"Berceuse" est donc à nouveau un bijou. C'est énervant, mais je ne vais pas dire que c'est moyen juste pour éviter de passer pour un fan transi... :wink: Evidemment, la presse ne partagera pas cet avis, mais lisez cet auteur et vous pourrez voir devant vos yeux éclore un auteur important et fondateur dans la description des années 2000. A lire de toute urgence, après avoir lu ses 4 premiers romans (pour voir l'évolution et la prégnance de ses thèmes)...
Régalez-vous... Moi, je vais devoir attendre un an ou deux avant le prochain...
En tout cas, j'espère que ces petites reviews vous auront suffisamment intrigué pour que vous vous jetiez sur les romans du grand Chuck !
A+