par aneth sur 26 Aou 2004 9:49
Je comprends parfaitement ton point de vue, et si je suis venue ici pour conseiller ce livre, c’est que je l’ai lu comme ça, en admettant Gondawa en tant qu’utopie, au moins le temps de la lecture. Je me disais, bon, cette utopie est vraiment ratée, mais soyons bon public, je vois bien que l’intérêt du livre n’est pas là. Je me disais « c’est un roman des années 60, c’est normal, faisons abstraction de ça, gardons l’idée que c’est censé être utopique » Et même si certains passages m’ont véritablement révoltée, ébranlant ma bonne volonté, (cf le pire ci-dessous), le reste du roman m’a paru intéressant, assez pour que je vienne le conseiller ici. Après tout, lorsqu’on lit un conte, on ne se dit pas que le Prince Charmant n’est qu’un sale monarchiste !
Mais lorsque j’ai lu les commentaires, ici, puis ailleurs sur internet, de lecteurs qui parlent de chef-d’œuvre, et expriment leur admiration, non pour le roman, mais pour Gondawa, c’est là que j’ai commencé à m’interroger. Et pire, lorsque j’ai lu Le Grand Secret, et que je me suis renseignée un peu sur le reste de Barjavel et que j’ai constaté que ce culte du « stade de la perfection » est récurrent et emblématique, j’ai commencé à me poser de sérieuses questions !
Je m’étonne, je me pose des questions, et je tiens à apporter mon témoignage puisqu’il détonne parmi les commentaires unanimes face à ce roman. Ca ne veut pas dire que j’accuse, agresse, ni méprise quiconque n’a pas la même approche. Je trouve juste très intéressant de voir les différents angles sous lesquels on peut aborder une œuvre pour aboutir à, à la fois un consensus sur sa qualité, et une divergence de fond sur son interprétation. Suis-je aveuglée moi-même par, comme tu le dis, mon « cynisme », ai-je, avec l’âge, perdu ma capacité à l’émerveillement ? Aurais-je donc, comme le dit Barjavel, laissé filer ma perfection avec mes 18 ans ? Est-ce regrettable ?
Qu’est-ce que c’est que ce monde parfait où les citoyens sont répartis par ordinateur dès leur plus jeune âge en castes (le mot n’apparaît pas dans le roman, c’est moi qui l’introduis ici parce qu’il correspond à MON interprétation, reposant sur les 4 catégories de citoyens décrits dans le roman qui insiste sur le cloisonnement et la non mixité, ainsi que l’irréversibilité de l’appartenance de chacun puisque tous obéissent à l’ordinateur qui détient le modèle parfait en vertu duquel il marie les gens)
Ainsi, selon les mérites de leurs gènes, les citoyens auront accès à toutes les richesses pour le prix d’un minimum d’efforts, ou bien ils seront gardes verts (on en voit un dans l’extrait ci-dessous, peu instruit et manipulé, frustré sans le savoir et méprisé par notre idéale héroïne) ou pire, garde blanc, et là ça veut dire exclu de l’accès aux richesses et à l’amour, destiné à maintenir l’ordre par la force (tout droit inspiré du « CRS=SS » de mai 68 ). Je ne dirai rien de la caste des out-casts qui vivent de « mendicité et de rapine » (sic) parce que peut-être l’ont-ils choisi… on n’en sait pas assez pour conclure, encore que le simple fait qu’ils existent est une sérieuse épine dans le pied parfait de cette société miraculeuse…
Et puis il y a l’ennemie, Enisoraï, qui REFUSE le bonheur à la Gondawa et obligent les gentils à les exterminer, un peu comme le garde dans l’extrait ci-dessous, par sa bêtise, sa médiocrité et sa laideur, mérite d’être tué au nom de la prétendue perfection.
Franchement, je trouve cette « utopie » sensiblement pire que notre réel, bien que proche à s’y méprendre. Après tout, nous aussi nous avons une assez stricte imperméabilité de nos classes sociales où l’élite méprise ceux qui sont moins instruits et moins sains, persuadée qu’il y a une justice à cela, nous aussi nous connaissons des nations enclines à exterminer celles qui ont une conception du bonheur différente sous prétexte qu’ils constituent une potentielle menace, nous aussi nous réservons les progrès de la science à creuser davantage les écarts.
Voilà pourquoi je m’étonne d’un tel engouement inconditionnel pour ce roman.
Et voilà l’extrait promis :
[quote="Barjavel"]Elle s'était endormie dans le fauteuil du laboratoire, elle venait d'ouvrir les yeux sur ce tapis, dans une pièce ronde et nue. L'unique porte se trouvait en face d'elle. Devant la porte un garde vert, assis sur un cube, la regardait. Il tenait du bout des doigts un objet de verre fait de minces tubes entrelacés en volutes compliquées. Les tubes fragiles étaient emplis d'un liquide vert.
-Puisque vous ne donnez plus, dit le garde, je vous préviens: si vous voulez essayer de sortir de force, j'ouvre les doigts, ceci tombe et se brise, et vous vous endormez comme une pierre.
Eléa ne répondit pas. Elle le regardait. Elle mobilisait toutes les ressources de son esprit en vue d'un seul but: sortir et rejoindre Païkan.
Le garde était grand, large d'épaules, épais de taille. Ses cheveux tressés avaient la couleur du bronze neuf. Il était nu-tête et sans anne. Son cou épais était presque aussi large que son visage massif. Il constituait un dur obstacle devant la porte unique. Au bout de son bras musculeux, de sa main rude, il tenait cet objet, infiniment fragile, obstacle encore plus solide.
-Ecoutez, Eléa, dit une voix, Païkan demande à vous parler et à vous voir. Nous le lui permettons.
L'image de Païkan se dressa entre elle et le garde. Eléa sauta sur ses pieds.
-Eléa!
-Païkan !
Il était debout dans la coupole de travail. Elle voyait près de lui un fragment de la tablette et l'image d'un nuage.
-Eléa ! Où es-tu '? Où vas-tu '? Pourquoi me quittes-tu '?
-J'ai refusé, Païkan ! Je suis à toi! Je ne suis pas à eux! Coban m'a obligée! Ils me retiennent !
-Je viens te chercher! Je briserai tout! Je les tuerai! Il brandit sa main gauche enfoncée dans l'arme.
-Tu ne peux pas! Tu ne sais pas où je suis !... Je ne le sais pas non plus! Attends-moi, je te reviendrai! Par tous les moyens !...
-Je te crois, j'attends, dit Païkan.
L'image disparut.
Le garde, toujours assis, regardait Eléa. Debout au centre de la pièce ronde, elle le regardait et l'évaluait. Elle fit un pas vers lui. Il saisit le masque qu'il portait en sautoir et se le plaqua sur le nez.
-Attention! dit-il d'une voix nasillarde.
Il remua légèrement, avec précaution, l'entrelacs fragile des tubes de verre.
-Je te connais, dit-elle.
Il la regarda avec surprise.
-Toi et tes pareils, je vous connais. Vous êtes simples, vous êtes braves. Vous faites ce qu'on vous dit, on ne vous explique rien.
Elle fit glisser l'extrémité de la bande bleue qui lui enveloppait le buste, et elle commença à la dérouler.
-Coban ne t'a pas dit que tu allais mourir...
Le garde eut un petit sourire. Il était garde, il était dans les Profondeurs, il ne croyait pas à sa propre mort.
-Il va' y avoir la guerre et il n'y aura pas de survivants. Tu sais que je dis la vérité: tu vas mourir. Vous allez tous mourir, sauf moi et Coban.
Le garde sut que cette femme ne mentait pas. Elle n'était pas de celles qui s'abaissent à mentir, quelles que soient les circonstances. Mais elle devait se tromper, il y a toujours des survivants. Les autres meurent, pas moi.
Maintenant sa taille était nue, et elle commençait à défaire la bande en diagonale de la taille à l'épaule.
-Tout le monde va mourir en Gondawa. Coban le sait. Il a construit un Abri que rien ne peut détruire, pour s'y enfermer. Il a chargé l'ordinateur de choisir la femme qu'il enfermera avec lui. Cette femme, c'est moi. Sais-tu pourquoi l'ordinateur m'a choisie parmi des millions? Parce que je suis la plus belle. Tu n'as vu que mon visage. Regarde...
Elle dénuda son sein droit. Le garde regarda cette chair merveilleuse, cette fleur et ce fruit, et il entendit le bruit du sang dans ses oreilles.
-Tu me veux? dit Eléa.
Elle continuait lentement de découvrir son buste. Son sein gauche était encore à demi cerné d'étoffe.
-Je sais quel genre de femme l'ordinateur t'a choisie. Elle pèse trois fois mon poids. Une femme comme moi, tu n'en as jamais vue...
La bande tout entière glissa sur le sol, délivrant le sein gauche. Eléa laissa ses bras pendre le long de son corps, les paumes de ses mains à demi tournées en avant, les bras un peu écartés, offrant son buste nu, la splendeur vivante des seins mesurés, pleins, doux, glorieux.
-Avant de mourir, tu me veux?
Elle releva la main gauche et, d'un seul geste, fit tomber son vêtement des hanches.
Le garde se leva, posa sur le cube le redoutable, fragile, menaçant objet de verre, arracha son masque et sa tunique. Assemblage parfait de muscles équilibrés et puissants, son torse nu était magnifique.
-Tu es à Païkan ? dit-il.
-Je lui ai promis: par tous les moyens.
-Je t'ouvrirai la porte et je te conduirai dehors.
Il ôta sa jupe. Ils étaient debout, nus, l'un devant l'autre. Elle recula lentement et, quand elle eut le tapis sous ses pieds, elle s'accroupit et s'allongea. Il s'approcha, puissant et lourd, précédé par son désir superbe. Il se coucha sur elle et elle s'ouvrit.
Elle le sentit se présenter, noua ses pieds dans ses reins et l'écrasa sur elle. Il entra comme une bielle. Elle eut un spasme d'horreur.
-Je suis à Païkan ! dit-elle.
Elle lui enfonça ses deux pouces à la fois dans les carotides.
Il suffoqua et se tordit. Mais elle était forte comme dix hommes, et le tenait de ses pieds crochetés, de ses genoux, de ses coudes, de ses doigts enfoncés dans ses cheveux tressés. Et ses pouces inexorables, durcis comme de l'acier par la volonté de tuer, lui privaient le cerveau de la moindre goutte de sang.
Ce fut une lutte sauvage. Enlacés, noués l'un à l'autre et dans l'autre, ils roulaient sur le sol dans tous les sens. Les mains de l'homme s'accrochaient aux mains d'Eléa et tiraient, essayaient d'arracher la mort enfoncée dans son cou. Et le bas de son ventre voulait vivre encore, vivre
encore un peu, vivre assez pour aller au bout de son
plaisir. Ses bras et son torse luttaient pour survivre, et ses reins et ses cuisses luttaient, se hâtaient pour gagner la mort de vitesse, pour jouir, jouir avant de mourir.
Une convulsion terrible le raidit. Il s'enfonça jusqu'au fond de la mort accrochée autour de lui et y vida, dans une joie fulgurante, interminablement, toute sa vie. La lutte s'arrêta. Eléa attendit que l'homme devînt entre elle passif et pesant comme une bête tuée. Alors elle retira ses pouces enfoncés dans la chair molle. Ses ongles étaient pleins de sang. Elle ouvrit ses jambes crispées et se glissa hors du poids de l'homme. Elle haletait de dégoût. Elle aurait voulu se retourner comme un gant et laver tout l'intérieur d'elle-même jusqu'aux cheveux. Elle ramassa la tunique du garde, s'en frotta le visage, la poitrine et le ventre, la rejeta souillée, et s'habilla rapidement.[/quote]
Sympa, l'héroïne, non ?
Aneth, pour la promotion de :
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