Elliott Smith (1969 - 2003)

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Modérateur: Amrith Zêta

Elliott Smith (1969 - 2003)

Messagepar Yoan sur 07 Mai 2008 12:59

[u][b][size=200]Elliott Smith (1969 - 2003)[/size][/b][/u]


[img]http://www.elliottsmith.co.nz/db_assets/gall_20070107193655.jpg[/img]

[size=150][u][b]I) Avant-propos[/b][/u][/size]

Enfin, après avoir pris beaucoup de temps - et d'élan - je me lance.

Ce topic revêt une importance réelle pour moi, parce que je m'apprête à parler d'un artiste qui m'a marqué comme rarement. Pour tout dire, quand on en est à s'envoyer spontanément la discographie complète d'un mec, en veillant à respecter la chronologie de sortie de ses disques pour se plonger d'autant mieux dans son œuvre, c'est que l'addiction est clairement là, plus que jamais. La longueur effrayante de ce post vous en aura de toute façon convaincu sans mal.

On oublie parfois à quel point on peut encore vivre des chocs musicaux réjouissants, ressuscitant une passion qui ne vous a jamais quittée, mais qui sommeillait en vous en l'attente d'une claque salvatrice.
Elliott Smith est devenu mon obsession musicale numéro 2. Je ne vous ferai pas l'affront de vous citer la première.
Mais pour en terminer avec cette intro vaguement nombriliste, Je ne peux pas m'empêcher de penser - avec un fond de culpabilité - que j'ai finalement raté de peu la possibilité de voir un de mes héros sur scène. Je fais partie de ceux qui ont découvert le bonhomme peu après sa mort, certainement parce qu'il a malheureusement fallu ce drame encore drapé d'incertitudes glauques, pour que les médias passent la surmultipliée et chantent ses louanges plus qu'à l'accoutumée. Des participations sur des BO de films lui avaient pourtant ouvert les voies d'un succès mainstream qu'il a d'ailleurs tenté de repousser comme il a pu, mais je ne peux décemment pas me définir comme faisant partie de ceux qui avaient percé à jour l'immensité de son talent avant que l'on inonde son nom d'hommages posthumes.
Il me reste donc ce sentiment un poil pesant d'avoir raté le bon wagon, alors même que je l'avais sous le nez, et d'arriver comme tant d'autres après la bataille.

Quoi qu'il en soit, il ne peut pas être trop tard pour s'y mettre, puisque de toute façon ça ne fait plus aucun doute : sa musique traversera les années pour devenir une référence intemporelle.

Mais venons-en au fait.

[size=150][u][b]II) Elliott Smith, qui es-tu ?[/b][/u][/size]

Steven Paul Smith de son nom de naissance, voit le jour le 6 août 1969 à Omaha, dans le Nebraska. De ce que j'en sais, son enfance n'est pas tout à fait la caricature infernale qu'ont connue nombre de rock stars torturées ayant sombré peu à peu dans la drogue. Pourtant, l'épilogue sera bel et bien tout aussi tragique.
Il n'en reste pas moins qu'il n'a même pas deux ans lorsque ses parents divorcent, et qu'il part vivre avec sa mère à Dallas. Malgré les maltraitances d'un beau-père manifestement violent, Il vivra d'autant plus mal la séparation avec cette dernière que c'est elle seule qui l'a élevé, ou presque, jusqu'à son 14ème anniversaire. Lorsqu'en effet à l'entrée de l'adolescence, il est prié d'aller s'installer chez son père à Portland, l'enfant manifeste un mal-être qu'il décrira largement au sein de ses premières compositions.
Ses années lycées sont déjà très productives, puisqu'alors qu'il s'est vu offrir sa première guitare à l'âge de 12 ans, une partie de ce qu'il écrira 4 ans plus tard intègrera brillamment son premier effort solo. Le LP en question - chroniqué plus bas, et sorti en 1994 - affiche à ce titre une maturité dans la composition d'autant plus impressionnante que c'est bien à un gosse de 16 ans que l'on doit des perles telle que "Condor Ave".
Il découvrira les drogues à la même époque, en piquant des produits chez son psychiatre de papa, lesquelles lui pourriront l'existence jusqu'au bout.
A l'aube de la carrière solo que l'on sait, celui que tout le monde nomme désormais Elliott selon ses propres souhaits, fait ses premières armes au sein du groupe [b]Heatmiser[/b]. Relativement éloigné des aspirations acoustiques qu'il manifestera par la suite, le quatuor arbore un son quelque part entre le Grunge et le Pop-Rock.
A mon humble avis, le groupe valait déjà relativement le détour, principalement grâce au songwriting béton d'Elliott ainsi que sa voix si spéciale.

[u][url=http://fr.youtube.com/watch?v=kgNMZbOiCe4&feature=related]Heatmiser : "Blackout"[/url][/u]

Mais si les encouragement sont sensibles à l'égard d'Heatmiser, Elliott se sent à l'étroit dans une formation où il estime que son écriture ne trouve pas un cadre d'expression approprié. Il dira lui-même ne pas reconnaître ses chansons une fois celles-ci jouées par le groupe.
Sans surprise, il quitte donc ses comparses et amis sans heurt ni fracas, dans un climat sain d'amitié conservée. L'aventure Heatmiser aura toutefois duré quelques années, jusqu'à la parution en 1993 de l'album "Dead Air" via une signature chez Virgin Records, avant de donner l'impression de se poursuivre sous perfusions jusque 1996, et ce souvent sans lui.

[size=150][u][b]III) Sur la route du succès.[/b][/u][/size]

Fort d'une volonté de s'exprimer autrement, Elliott Smith va donc laisser libre cours à ses aspirations les plus profondes le temps d'un LP en forme d'essai. Il en résulte "Roman Candle", considéré comme le point de départ de sa carrière solo :

[img]http://panther1.last.fm/coverart/300x300/76017.jpg[/img]

[b]Roman Candle, 1994.[/b]

1. "Roman Candle" - 3:37
2. "Condor Ave" - 3:34
3. "No Name #1" - 3:03
4. "No Name #2" - 3:34
5. "No Name #3" - 3:13
6. "Drive All Over Town" - 2:36
7. "No Name #4" - 2:30
8. "Last Call" - 4:38
9. "Kiwi Maddog 20/20" - 3:40


Même si pour être tout à fait exact, cet effort solo est né d'une tentative d'exorcisme isolée, qui ne condamne pas encore forcément Heatmiser à la dissolution, la machine est d'ores et déjà clairement lancée. En 9 titres, Elliott Smith laisse ici apparaître trop de promesses pour que de suite glorieuse il n'y ait pas.
Avec peu de temps, et encore moins de moyens, il enregistre des titres dépouillés, passés au révélateur d'une production sèche, laquelle donne véritablement l'impression d'écouter un live studio. Au delà des très relatives imperfections formelles, on est frappé par la finesse d'un jeu de guitare à la fois magique d'invention et d'accroche mélodique pure. Comme si personne n'avait encore jamais joué comme lui jusqu'à ce jour, ce qui n'est certainement pas loin de la vérité.
Et que dire de sa voix ? Dès le titre éponyme, ses chuchotements transpirants d'angoisse illustrent à eux seuls tout ce que Heatmiser ne lui permettait visiblement pas encore d'évacuer.
Dire que cet album est une plongée vertigineuse et intime dans les pensées tourmentées d'un artiste déjà mal dans sa peau reste un euphémisme. Entre cauchemars décrits au détour de notes sensibles et délicates, déceptions personnelles et haine de soi, Elliott Smith n'écrit pas juste pour passer le temps. Difficile à vrai dire de trouver plus flagrante illustration au phénomène selon lequel on fait de la musique pour se décharger de ses obsessions les plus profondes. Le cliché de l'artiste maudit ? Pas loin, oui.
Un tableau aussi noir pourrait faire craindre l'excès dépressif, mais ce serait oublier qu'en grand passionné de musique pop qu'il fut, Elliott a été fortement marqué par les Beatles, qu'il cite à tout crin comme une de ses références les plus influentes. Alors si "Roman Candle", plus que n'importe laquelle de ses autres livraisons - hormis peut-être la suivante - laisse échapper une noirceur qui n'échappera à personne, une lumière jaillit du néant et impose d'ores et déjà Elliott Smith comme un songwriter surdoué.
Je doute qu'il faille commencer par celui-là, mais il serait très regrettable de le rater. Des joyaux noirs et rêches restent des joyaux, peut-être encore d'autant plus étincelants qu'ils laissent justement apparaître quelques faiblesses.

[img]http://data1.blog.de/blog/n/nosim-cave/img/38768.jpg[/img]

[b]Elliott Smith, 1995.[/b]

1. "Needle in the Hay" - 4:16
2. "Christian Brothers" - 4:30
3. "Clementine" - 2:46
4. "Southern Belle" - 3:06
5. "Single File" - 2:26
6. "Coming up Roses" - 3:10
7. "Satellite" - 2:25
8. "Alphabet Town" - 4:11
9. "St Ides Heaven" - 3:00
10. "Good to Go" - 2:24
11. "The White Lady Loves You More" - 2:24
12. "The Biggest Lie" - 2:39

Un vrai label cette fois - à savoir Kill Rock Stars - mais des moyens somme toute encore modestes - malgré une orchestration un brin plus riche - pour un album proche de son aîné dans la production et les ambiances. Il s'agit toutefois d'offrir au disque une distribution décente pour ce qui constitue le premier vrai succès honorable de l'artiste en solo. Une réussite qui le conduira à quitter définitivement Heatmiser l'année suivante, chose que personne n'osera lui reprocher.
Fidèle à sa ligne de conduite intimiste et épurée, Elliott Smith signe 12 titres passionnants, souvent teintés d'une noirceur mélancolique frappante mais jamais repoussante. Ce souci constant d'ériger des mélodies obsédantes préserve les compositions tourmentées du bonhomme du délit de racolage dépressif. D'autant que si cet album éponyme débute certes par deux des chansons les plus noires de l'artiste, la suite prouve une fois de plus qu'il possède beaucoup de cordes à son arc et qu'il présente décidément des dons de mélodiste hors-pair.
Difficile de trouver un équivalent à ce songwriting sinueux, hanté, lumineux à ses heures, et pourtant tellement évident. Difficile de ne pas rester hébété à l'écoute d'une telle symbiose entre un jeu de guitare impressionnant et inventif sans se faire envahissant, et cette voix toujours douce et flottante, reconnaissable entre mille.
Cette fois c'est une certitude : ce mec n'est donc pas comme les autres, incapable qu'il est est d'écrire une chanson ne serait-ce que moyenne. Ceux qui auront misé sur lui, persuadés d'être en présence d'un petit génie blessé auront vu juste. Ce qu'ils ne prévoyaient peut-être pas, c'est que comme tant d'autres artistes renfermés et mal dans leur peau, Elliott Smith était incapable de gérer le succès.

[img]http://dcist.com/attachments/dcist_chrisklimek/2007_1009_EitherOr.jpg[/img]

[b]Either/Or, 1997.[/b]

1. "Speed Trials" - 3:01
2. "Alameda" - 3:43
3. "Ballad of Big Nothing" - 2:48
4. "Between the Bars" - 2:21
5. "Pictures of Me" - 3:46
6. "No Name No. 5" - 3:43
7. "Rose Parade" - 3:28
8. "Punch and Judy" - 2:25
9. "Angeles" - 2:56
10. "Cupid's Trick" - 3:04
11. "2:45 AM" - 3:18
12. "Say Yes" - 2:19

Toujours sur la pente ascendante, Elliott Smith marque son territoire au fer rouge via un disque sur lequel pointent déjà des velléités d'évolution. Encore très discrètes et laissant toujours une large place à cette Folk sans fioriture qui a fait sa réputation, les instrumentations se font toutefois plus présentes et variées. De la même façon, l'atmosphère du disque fluctue plus volontiers vers des cieux moins mélancoliques, même s'il semble bien que l'artiste ne sache écrire que pour soulager ses blessures. Il en résulte de véritables Chef-d'œuvres, enregistrés via un misérable 4 pistes dans ce qui n'était sûrement même pas un vrai studio. Qu'importe, "Ballad Of Big Nothing", "Angeles" ou "Say Yes" - pour ne citer qu'elles - dégagent plus de puissance et d'émotion que 99% des super-productions alignées par les Majors.
Elliott Smith porte ici son minimalisme aux sommets, et l'on commence sérieusement à penser que la reconnaissance discrète dont il bénéficie n'est pas à la démesure de son talent. Du moins pour l'instant.

[u][b][size=150]IV) Sous les feux des projecteurs.[/size][/b][/u]

C'est un film de Gus Van Sant qui va ouvrir à Elliott Smith les portes du showbiz, malheureusement surtout pour le pire. A la demande du réalisateur, il assurera en effet la BO de [b]Will Hunting[/b], composant notamment pour l'occasion le titre "Miss Misery".

Un [u][url=http://fr.youtube.com/watch?v=WMJnxOGMSOk]très beau live[/url][/u] pour l'occasion.

Le film est un énorme succès, et les sollicitations pleuvent. Déjà peu à l'aise avec ce statut d'artiste reconnu, le malaise s'accentue dans le sillage d'un triomphe qu'il ne maîtrise plus. Le décalage entre la nature profondément renfermée du personnage et le caractère clinquant du star-system atteint son paroxysme lorsqu'il se voit nomminé en 1998 aux Grammy Awards, aux côtés de Trisha Yearwood et Céline Dion. La scène est absolument surréaliste : Elliott se pointe vêtu d'un costume blanc pour interpréter seul sur le plateau "Miss Misery", entre les prestations des deux concurrentes sus-citées. Autant être clair, Elliott dénote largement du ton de la soirée et ne semble pas une seule seconde à sa place dans ce genre de cérémonie. En se présentant à la suite d'une chanteuse lyrique beuglant une sorte de flan variétoche insupportable, les premières secondes de sa prestation sont inaudibles, le temps pour les ingénieurs du son de réaliser qu'il faut monter le son du micro pour laisser son mince filet de voix se frayer un chemin dans la salle.
Mais plus que tous les discours, jeter un œil sur [u][url=http://fr.youtube.com/watch?v=6QhYP50nib4]cette vidéo[/url][/u] vous donnera une idée de l'étendue du paradoxe, et du trac qui semblait le paralyser à moitié.

Pour l'anecdote, c'est Céline Dion qui repartira avec la statuette. Et après faudrait prendre ces merdes au sérieux...

Notons par ailleurs que la même année, il enregistre une reprise de "Because" des Beatles pour le film "American Beauty". Un autre grand succès, pour lequel il demeure cependant beaucoup moins exposé.
Mais le grand tournant qui accompagne cette reconnaissance soudaine, c'est une signature chez Dreamworks, une major du disque. Certains fans commencent bien évidemment à hurler à la trahison, mais Elliott sait pertinemment que grâce à celle-ci, va pouvoir pousser son œuvre là il doit désormais l'emmener.

[img]http://www.amoeba.com/dynamic-images/blog/Sarah/xo.jpg[/img]

[b]XO, 1998.[/b]

1. "Sweet Adeline" - 3:15
2. "Tomorrow, Tomorrow" - 3:07
3. "Waltz #2" - 4:40
4. "Baby Britain" - 3:13
5. "Pitseleh" - 3:22
6. "Independence Day" - 3:04
7. "Bled White" - 3:22
8. "Waltz #1" - 3:22
9. "Amity" - 2:20
10. "Oh Well, Okay" - 2:33
11. "Bottle Up and Explode!" - 2:58
12. "A Question Mark" - 2:41
13. "Everybody Cares, Everybody Understands" - 4:25
14. "I Didn't Understand" - 2:17

Pour la première fois de sa carrière solo, Elliott Smith bénéficie d'un budget suffisamment conséquent pour tenter un disque densément produit et arrangé. Sûrement fallait-il en passer par là après trois magnifiques albums dépouillés, qui lui ont permis de faire le tour de la question avec un brio évident.
Se présente donc cette fois-ci un tout nouveau challenge : réussir dans l'exercice de la grosse production. Des claviers récurrents, une batterie plus présente, des harmonies vocales relativement nombreuses et même quelques cordes sont donc de la partie pour soutenir ce "XO", qui semble parfaitement armé pour frapper un grand coup. Les inquiétudes pouvaient toutefois se résumer en cette simple question : ce déferlement d'arrangements allait-il noyer le songwriting d'un artiste qui avait fait d'un minimalisme déchiré sa marque de fabrique ? La réponse est non. Cent fois non.
"XO" est un coup de maître, l'album d'une vie. Il explore une palette d'émotions admirable, du poignant "Waltz #1" au léger et entraînant "Baby Britain" en passant par l'irrésistible "Bottle Up And Explode", morceau proprement divin à faire pâlir n'importe quel mélodiste en herbe sur cette planète, et ce toujours avec une justesse absolue.
Elliott Smith continue de se livrer corps et âme dans des chansons toujours aussi profondément intimes et touchantes, chose que cette production que l'on pouvait craindre un brin ostentatoire ne réfreine donc en rien.
Que dire de plus si ce n'est que ce disque est une sorte de petit miracle, plus varié que ses précédentes livraisons, et qu'il fait indéniablement partie de ce que le Pop-rock a vu naître de plus grand ? Pas grand chose. J'ajouterais juste un "merci" des plus sincères, parce que cet album m'a changé et comptera toute ma vie. Et je sais ne pas être le seul dans ce cas.


L'album s'écoule de son vivant à 200 000 exemplaires (je n'ai pas connaissance du chiffre actuel, mais on est probablement très au dessus) ce qui en fait son plus grand succès. Dans la foulée d'une tournée étalée sur 2 ans, et qui l'a vu alterner prestations acoustiques seul avec sa guitare acoustique, et concerts plus rock avec une véritable section rythmique, Elliott rempile chez Dreamworks avec "Figure 8".

[img]http://images.amazon.com/images/P/B00004S6GL.01.LZZZZZZZ.jpg[/img]

[b]Figure 8, 2000.[/b]

1. "Son Of Sam" - 3:04
2. "Somebody That I Used To Know" - 2:09
3. "Junk Bond Trader" - 3:49
4. "Everything Reminds Me Of Her" - 2:37
5. "Everything Means Nothing To Me" - 2:24
6. "L.A." - 3:14
7. "In The Lost And Found" - 4:32
8. "Stupidity Tries" - 4:24
9. "Easy Way Out" - 2:44
10. "Wouldn't Mama Be Proud?" - 3:25
11. "Color Bars" - 2:19
12. "Happiness (The Gondola Man)" - 5:04
13. "Pretty Mary K" - 2:36
14. "I Better Be Quiet Now" - 3:35
15. "Can't Make A Sound" - 4:18
16. "Bye" - 1:53

Plus flamboyant encore que "XO", ce nouvel effort poursuit ce que son aîné avait débuté : grossir les instrumentations, aller plus loin dans les expérimentations.
Si quelques voix commencent à s'élever chez les fans pour condamner une dilution du songwriting sous un trop-plein d'arrangements, force est d'admettre qu'il s'agit encore une fois d'une réussite probante. L'album est traversé de fulgurances mélodiques dont Elliott semble avoir le secret, et les perles intimistes demeurent aux côtés de morceaux plus aventureux. Difficile donc de parler de baisse de régime même s'il s'agit très probablement de son album le plus critiqué. Certainement s'agit-il aussi de son album le plus "éparpillé", le bonhomme faisant preuve d'une inspiration débordante et difficile à contenir.
Pas mal de morceaux positifs et lumineux transparaissent encore une fois, lesquels laissent imaginer un artiste bien dans sa tête et ses baskets. Et pourtant, bien des choses se détériorent lentement, ce que les ventes relativement décevantes de "Figure 8" n'arrangeront pas.

[u][b][size=150]V) Une lente descente aux enfers.[/size][/b][/u]

La dépendance de Smith aux drogues est plus ou moins établie, ne demeurent que des doutes sur d'éventuelles périodes plus "clean" que d'autres. Ce qui est certain, c'est que les concerts post-2000, en plus de se raréfier, montrent quelqu'un de très affaibli, négligé et parfois littéralement à côté de ses pompes. On parle de dépendance à l'héroïne ainsi que de problèmes liés à la prise fréquente d'anti-dépresseurs pour expliquer des prestations souvent fragiles, parfois catastrophiques. Elliott est souvent pris de trous de mémoire, peine à assurer ses vocalises tout autant que ses parties guitare.
Pour illustrer cette période très sombre, essayez de regarder ça jusqu'au bout. Moi ça m'arrache le cœur à chaque fois, mais c'est assez représentatif du chaos contre lequel il essayait de lutter certains soirs :

[u][url=http://fr.youtube.com/watch?v=hYRD69VvYKg&feature=related]Elliott Smith - Sunset Junction 2001[/url][/u]

J'ai l'intégralité de ce concert - téléchargé par hasard d'ailleurs - et rares sont les morceaux qu'il est parvenu à terminer ce soir-là. Ce n'a bien sûr pas toujours été aussi catastrophique lors des dernières années de sa vie, mais ses meilleurs concerts sont clairement à situer avant 2001. Ses derniers concerts sont ceux de quelqu'un largement diminué, et l'on sent constamment qu'il peine à jouer. Même ses phrases adressées au public entre les morceaux sont tremblotantes et parfois incompréhensibles.

Pour rééquilibrer les choses, je me permets d'ailleurs juste de lier quelques prestations qui lui rendent hommage :

- [u][url=http://fr.youtube.com/watch?v=WMJnxOGMSOk]"Miss Misery"[/url][/u], sûrement ma prestation live préférée du Monsieur, dont j'ai déjà mis un lien plus tôt. Mais des fois que l'ayez loupée, j'insiste.
- [u][url=http://fr.youtube.com/watch?v=h2sfwky4RqQ&feature=related]"Waltz # 2"[/url][/u], armé d'une guitare et de sa voix. Pas de micro, aucune amplification, même pas un médiator.
- [u][url=http://fr.youtube.com/watch?v=YPCvPSIHCmY]"I Didn't Understand" et "Miss Misery"[/url][/u], magistralement réinterprétées au piano (novembre 98).
- [u][url=http://fr.youtube.com/watch?v=pAfPfcwgUM8&feature=related]"Stupidity Tries"[/url][/u] chez David Letterman (2000).
- [u][url=http://fr.youtube.com/watch?v=PrT-QJgIxFs]"The Last Hour" (1996)[/url][/u] avec un son poisseux mais la prestation est à l'image de l'artiste. J'aurais rêvé de pouvoir assister à un de ces concerts intimistes dans des salles minuscules.
- [u][url=http://fr.youtube.com/watch?v=RFol3bmcPWA]"See You Later" (1999)[/url][/u] avec une guitare très mal amplifiée mais la chanson est géniale. Disponible avec un bon son en version studio sur une compilation que je mettrai en ligne, si ce topic n'est pas un bide total.
- [u][url=http://fr.youtube.com/watch?v=7oByDnDnb3U]"St. Ides Heaven"[/url][/u] (année à déterminer, mais avant 98 certainement), juste parce que j'adore cette chanson.
- [u][url=http://fr.youtube.com/watch?v=nBJAUE99k6Q&feature=related]"Angeles" (99 ou 2000 probablement)[/url][/u], la meilleure chanson d'Elliott Smith selon beaucoup de fans. Perso je ne me prononcerai pas. Jeu de gratte monstrueux en tout cas.
- [u][url=http://fr.youtube.com/watch?v=X-UXJtosrWc]"Southern Belle" (1999)[/url][/u], parce que cette chanson m'hallucine.

Cet aparté étant fait, je reprends le cours de mon post interminable.
Suite à ces épisodes douloureux sur scène, ses relations difficile autant avec ses proches qu'avec sa maison de disque - il montre notamment des signes de paranoïa en affirmant qu'il est régulièrement poursuivi par un mystérieux van blanc - il décide de suivre une cure de désintoxication en 2002. Son entourage fait savoir qu'il semble aller beaucoup mieux suite à ça, qu'il retrouve l'ambition de créer et entame même divers projets de grande envergure. La suite immédiate devait même être un double-album.

Equilibre trop fragile visiblement...

[quote]
Elliott Smith meurt le 21 octobre 2003 à Los Angeles, à l’âge de 34 ans, de deux coups de couteau portés à la poitrine au cours d’une dispute avec Jennifer Chiba. Selon le témoignage de cette dernière, ils se disputent et elle s’enferme dans la salle de bain. Chiba entend Smith crier et en ouvrant la porte, trouve Smith allongé par terre avec un couteau planté dans la poitrine. Elle retire le couteau de la poitrine et il s’effondre juste avant qu'elle appelle les secours. Elliott Smith décède à 1h36 du matin à l’hôpital des suites de ses blessures. S'il est souvent rapporté que cet acte était un suicide, le rapport d’autopsie laisse la thèse de l’homicide ouverte :

[i]« Si ses problèmes de dépression, de même que l’endroit et l’angle des coups portés à la poitrine, rendent l’hypothèse du suicide plausible, de nombreux éléments du dossier demeurent cependant paradoxaux eu égard à l’idée d’un suicide et laissent envisager la possibilité d’un homicide. En effet, l’absence de « plaies d’hésitations », le fait que les coups aient été portés à travers les vêtements, ou encore la présence de petites blessures au bras droit et à la main gauche (peut être des tentatives de défense) constituent des points troubles dans l’enquête. D’autre part, le retrait du couteau par la petite amie ainsi que son refus de parler aux inspecteurs représentent d’autres éléments devant être soulignés. »[/i]

Cependant, un message attribué à Elliott Smith et annonçant son suicide et est bien retrouvé sur un post-it : « I'm so sorry - love, Elliot. God forgive me ». La mauvaise orthographe d'« Elliott » discrédite dans un premier temps la thèse du suicide, mais est plus tard reconnue comme une erreur de la part du policier chargé du rapport. Robin Peringer explique d’autre part qu'Elliott, à la fin de sa vie, s’adonnait à l’automutilation, ce qui pourrait expliquer les blessures décrites comme de possibles tentatives de défense. Quant à Fritz Michaud qui avait travaillé avec Elliott sur l'album From a Basement on the Hill, il déclare qu'« Elliott n’aurait jamais voulu qu’on le retrouve sans son T-Shirt », ce qui expliquerait les coups de couteau à travers les vêtements, chose apparemment inhabituelle dans les cas de suicide au couteau).

À l’heure actuelle, sa mort n’est toujours pas officiellement reconnue comme étant un suicide et malgré l’absence de nouveaux éléments depuis 2003, l’enquête se poursuit.[/quote]

Je ne suis pas doué pour rapporter des faits, donc je me suis permis un copier/coller pour le coup, d'autant que cette vision des faits me semble parfaitement objective et justement nuancée. Après, chacun se fera sa propre idée sur la question, je n'aime pas particulièrement les théories hasardeuses sur de tels drames. Je suis notamment assez saoulé de voir le fric qu'on se fait sur la mort de Cobain même s'il faut bien reconnaître une chose, ces fins tragiques marquent la légende. Les hypothèses qui en découlent sur des possibilités de meurtre en sont sûrement des stigmates obligatoires.

[u][b][size=150]VI) Hommages posthumes.[/size][/b][/u]

La mort d'Elliott Smith, moins médiatique que celle d'un Kurt Cobain, reste cependant une perte douloureuse qui a n'a pas manqué de réactions. La plus célèbre concerne ce mur à Los Angeles aux couleurs de la pochette de "Figure 8", qui constitue un mémorial à la mémoire de l'artiste.

[img]http://www.epidermiq.com/images/bordel/2004-04-04_-_05_-_Elliott_S.jpg[/img]

[img]http://www.epidermiq.com/images/bordel/110674417_f44aefc761.jpg[/img]

J'ai été forcé de choisir des photos relativement anciennes puisque des gros cons ont eu l'idée débile - mais malheureusement prévisible - d'aller tagguer le mur en question via une grosse bombe de peinture bleue.

[u][url=http://fr.youtube.com/watch?v=fd-zwe1fWB0]Une vidéo hommage avec "The Biggest Lie" en fond.[/url][/u]

Mais on le savait, Elliott avait beaucoup composé et enregistré avant sa mort, laissant nombre de morceaux inédits inutilisés. Les albums posthumes ne pouvaient donc que fleurir, et ça n'a pas raté.

[img]http://ecx.images-amazon.com/images/I/61G87G0HF5L._SL500_AA240_.jpg[/img]

[b]From A Basement On The Hill, 2004.[/b]

1. "Coast To Coast" - 5:33
2. "Let's Get Lost" - 2:27
3. "Pretty (Ugly Before)" - 4:45
4. "Don't Go Down" - 4:34
5. "Strung Out Again" - 3:12
6. "A Fond Farewell" - 3:58
7. "King's Crossing" - 4:57
8. "Ostriches & Chirping" - 0:33
9. "Twilight" - 4:29
10. "A Passing Feeling" - 3:32
11. "The Last Hour" - 3:27
12. "Shooting Star" - 6:01
13. "Memory Lane" - 2:30
14. "Little One" - 3:14
15. "A Distorted Reality Is Now A Necessity To Be Free" - 4:32

Récupérant des morceaux récents totalement arrangés par Smith lui-même, des morceaux non-finalisés arrangés pour les besoins de ce disque sans Elliott, et d'autres très anciens titres restés dans des placards durant des années, on pouvait craindre un méli-mélo sans cohérence. Si l'on ne saura certes jamais ce que le double-album voulu par Smith à la base aurait donné, il faut saluer l'excellent travail abattu pour faire de ce "From A Basement On The Hill" un disque qui ne manque absolument pas d'âme et ne fait en rien penser à une opération mercantile bâclée. Tout s'enchaîne brillamment et laisse largement entrevoir ce vers quoi Elliott Smith semblait vouloir orienter sa carrière. Jouant sur les contrastes, entre titres denses et parfois presque bruyants, et titres plus doux et dépouillés, l'heure était à réunir tout ce dont il se savait capable en un seul disque. Moins ostentatoire que "Figure 8" en termes de production et d'arrangements, ce nouvel effort ne manque cela dit pas d'inventivité sur ce point, parvenant à un équilibre réjouissant entre cette volonté d'expérimenter, et celle de ne pas noyer ses chansons sous un travail studio envahissant. Inutile d'énumérer les perles, ce disque les collectionne, voire ne compte même que ça.
Mais la plus grande réussite de ce "From A Basement On The Hill" est bien celle de constituer un véritable album. Cela fait longtemps que l'on sait qu'il n'est plus à douter de la qualité intrinsèques des compositions d'une telle sommité, ce qui était moins évident, c'était de leur rendre hommage sans se contenter de les éparpiller sur des best-of bidons. Mission réussie haut la main.

[img]http://www.avclub.com/content/files/images/elliott-smith-new-moon.jpg[/img]

[b]New Moon, 2007.[/b]

CD 1

1. "Angel in the Snow"
2. "Talking to Mary"
3. "High Times"
4. "New Monkey"
5. "Looking Over My Shoulder"
6. "Going Nowhere"
7. "Riot Coming"
8. "All Cleaned Out"
9. "First Timer"
10. "Go By"
11. "Miss Misery" (early version)
12. "Thirteen"

CD 2

1. "Georgia Georgia"
2. "Whatever (Folk Song in C)"
3. "Big Decision"
4. "Placeholder"
5. "New Disaster"
6. "Seen How Things Are Hard"
7. "Fear City"
8. "Either/Or"
9. "Pretty Mary K" (other version)
10. "Almost Over"
11. "See You Later"
12. "Half Right"

Difficile cette fois de ne pas voir en ce double album une compilation de B-sides - puisque de toute façon, c'est précisément de ça dont il s'agit - mais alors quelle compil' ! On en revient à l'époque "Either/Or" avec ces chansons épurées qui font immanquablement renaître un fond de nostalgie. Et alors que l'on pouvait craindre une collection de titres de seconde zone, une question ne cessera de vous traverser tout au long de l'écoute de la galette : "Mais comment diable un morceau pareil a-t-il pu être écarté" ?
Les merveilles ne manquent pas et l'on s'épargne l'écueil des faux inédits enregistrés au magnétophone dans la salle de bain de son premier appart'. Nirvana n'a pas eu cette chance.
Hormis 2 ou 3 titres vaguement plus faiblards (mais alors très vaguement), tout aurait eu sa place sur un album sans l'ombre d'un souci. "New Moon" abrite même quelques-uns de mes morceaux préférés du Monsieur.
J'attends très impatiemment la suite puisqu'il est établi qu'il reste encore des inédits dans les tiroirs, issus des cessions d'enregistrement suivantes (à savoir notamment celles de "Figure 8" et "From A Basement On The Hill"). Et pour avoir mis la main sur certains des titres en questions, il est impensable de ne rien en faire. J'insiste : je veux la suite.

[u][b][size=150]VII) Conclusion, enfin.[/size][/b][/u]

Je ne vais pas m'étendre, ce serait malvenu au terme du post le plus long de ma carrière de forumeux, mais sachez que si vous êtes parvenus jusque là, déjà vous avez mes plus franches félicitations. Ainsi que mes remerciements sincères.
Simplement, pour en finir avec cette biographie bâclée (car oui, elle l'est), je tenais juste une ultime fois à exprimer toute mon admiration pour un mec qui était un véritable OVNI dans le monde du Showbiz. Quelqu'un de probablement trop sincère et fragile pour s'affranchir des paradoxes de ce milieu où il faut à la fois se livrer et se protéger, quelqu'un de proche de nous, pas un de ces minets top-model vendus comme tels. Son charisme me fascine parce que ce mec avait un physique de camionneur, un manque d'assurance patent, des faiblesses tangibles et une incapacité manifeste à surmonter les obligations qui sont devenues les siennes. "I am the wrong kind of person to become rich and famous" déclarait-il en interview, persuadé qu'une fois la mode passée, on le jetterait aux ordures sans état d'âme. Malgré tout, son oeuvre survivra aux modes, parce qu'elle est le fait d'un véritable surdoué, une âme en peine parmi les rares à légitimer ces formules toutes faites à propos des "anges maudits". Un ange avec ses parts d'ombre bien entendu, mais un être à part dont l'influence est flagrante dans le monde du rock. De Metric à Queens Of The Stone Age en passant par Kaki King ou Bright Eyes, il fait l'unanimité (je n'ai volontairement cité que des artistes qui ont tenté des covers de l'artiste).

Je ne pourrai pas vous en vouloir de survoler ce post pharaonique, mais si vous vous penchez ne serait-ce qu'un tout petit peu sur l'oeuvre de l'artiste, j'aurai réussi mon coup. Et que vous accrochiez ou non, ce ne sera pas vain parce que je peux vous le garantir sur facture : la musique de ce mec marquera sur la longueur. Une référence intemporelle on appelle ça je crois.
[b]"Playing things too safe is the most popular way to fail". (Elliott Smith)[/b]
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Messagepar Amrith Zêta sur 07 Mai 2008 15:21

Tout lu.
Je ne connaissais pas du tout.
C'est fascinant comme la mort d'un artiste braque les feux sur lui.

J'ai essayé New Moon et ça ne ressemble absolument pas à des Faces B ou à des rebuts vite parus post-mortem. Ca a plutôt la consistance et la logique d'un album.

Cela étant les chansons pop-rock ne sont pas ma tasse de thé.
Je peux simplement lui reconnaître un talent qui n'est pas usurpé.
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Messagepar Yoan sur 07 Mai 2008 17:15

J'apprécie que tu te sois penché sur sa musique alors que justement, je sais qu'il ne s'agit pas de ton créneau. C'est plus certainement dans les cordes d'un Torrance mais il ne m'a pas attendu pour s'intéresser à l'artiste, l'ayant même jadis intégré à sa liste des indispensables du rock, à une époque où je ne le connaissais d'ailleurs moi-même que de nom.

Ça fait un peu moins de 2 ans que je dévore tout ce que je peux sur ce mec, et j'en suis on ne peut plus persuadé : il fera à tout jamais partie des rares à avoir changé le cours de cette musique. Son empreinte reste plutôt sous-jacente, et un peu à son image, relativement discrète, mais quand Sufjan Stevens admet cette influence en montrant un profond respect et une certaine gêne de devoir supporter telle comparaison, on commence alors vaguement à mesurer son importance.

Quant à "New Moon", c'est assez paradoxalement une bonne façon de découvrir la face acoustique de l'artiste, ce double-album se révélant peut-être plus accessible que deux premiers disques sûrement plus exigeants.

Merci d'avoir lu en tout cas, je suis flatté.
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