Je suis plutôt partagé. En globalité je rejoint assez Amrith et Zerosum, (sauf dans la similarité extrème-gauche/extrème droite, mais ça c'est déjà H.S. :wink: ), en rappellant néanmoins que ce journal débute, et qu'il peut évoluer.
Je ne peux pas me permettre de faire une critique d'un journal que je n'ai pas lu. Je peux seulement me prononcer sur sa "charte" telle que je l'ai captée sur le site.
D'un côté, je trouve assez intéressante une telle initiative qui arrive à quelque chose de concret, soit une parution. Ce type de regroupement de jeunes s'attachant à un vaste projet qui finit par de dissoudre et disperser ses protagonistes est une vilaine réalité. Là au moins, on peut saluer l'obstination d'un groupe qui a réussi à sortir son journal, créer un site, et avancer des voeux intellectuels. En plus ça présente bien, et efficacement du point de vue perception immédiate. Quant à l'intention, elle a le mérite de changer des journaux type "20 ans", "jeune et jolie", bref, les immondices qu'on refourgue à la génération en question. Là dessus il n'y a pas photo.
Mais...
Un tel projet tel que le définit son manifeste se doit d'avoir une exigence et une rigueur profonde afin d'accéder aux souhaits prononcés. Or le manifeste en lui-même semble manquer de cette rigueur. S'afficher comme la "première grande réforme médiatique du 21ème siècle" ne manque pas, c'est le moins qu'on puisse dire, d'ambition. Or si l'ambition est construite sur un socle bancal, elle risque vite de chuter de haut.
Je me demande même s'il n'y a pas une auto condamnation inhérente à ce genre de projet centré sur le jeunisme générationnel: le journal est adressé à la génération des 20 ans. Or ceux qui l'écrivent n'auront pas toujours 20 ans, et à moins d'une volonté préétablie de roulement assez rapide de poste (au moins tous les 5 ans), ils se retrouveront dans le même état d'hypocrisie des soixante-huitards qu'ils dénoncent. Cet aspect circonscrit déjà les limites du projet, même si d'évidence les références intellectuelles et artistiques qui seront interviewées dépasseront le critère de l'âge.
Je me demande si déjà il n'y a pas une certaine lucidité (peut-être inconsciente) dans le point 18 du manifeste, de ce problème.
Le point 1 relève d'une grave méconnaissance de la situation de la presse française. En préambule, je trouve assez affligeant qu'on loge à la même enseigne le Canard Enchaîné, L'Huma, Charlie Hebdo avec les autres journaux présentés (mais cela, Guigui, tu ne pouvais que te douter que ça me ferait hérisser le poil :wink: ). Précisément parce que ces journaux connaissent des difficultés de plus en plus importante à exister. Et je n'aime ni les amalgames, ni les gens qui tirent sur des ambulances.
De plus, l'élitisme condamné de ces journaux parait relever d'un anti-intellectualisme primaire assez avancé. Je suppose que les jeunes de 20 ans sont spoliés par la rigueur sans concession à la pensée que soutiennent des journaux comme le "Monde Diplomatique" ou "Politis", alors que précisément, si ces journaux sombraient dans la facilité, ils perdraient tout crédit intellectuel. D'une manière sous-jacente, il est à peine dit que les jeunes sont trop crétins pour avoir les outils conceptuels propres à la lecture de ces journaux. J'appelle cet anti-intellectualisme du nivellement par le bas.
De plus, les jeux de mots type "Canard moisi enchaîné", ou "L'ancien observateur" relèvent d'une sémantique soit d'un humour raté, soit d'une renomination des choses, qui fait penser aux néologismes crasseux type F.N. Il n' y a là qu'une regrettable erreur, mais elle y est.
Le point 3 est le plus problématique: le manifeste fustige la société de consommation et revendique un véritable esprit de contestation, sans renoncer pour autant au système de consommation ?
:shock: La "contradiction générationnelle" a bon dos, je trouve.
Autrement dit, les rédacteurs de ce manifeste veulent la REVOLUTION tout en gardant le confort bourgeois de la CONSOMMATION. Le beurre et l'argent du beurre !
Quand on arbore des logos avec des poings levés et des anathèmes réclamant une rupture d'avec l'ordre établi, il est impossible dans le même temps de ne pas réclamer une rupture avec le système de consommation.
Je comprends bien que la volonté affichée est de "consommer autrement", ce qui est tout à fait louable, mais la volonté est-elle de consommer des choses alternatives ou de transformer le principe même de société de consommation ? Là l'intention devient floue, et je ne peux m'empêcher de dire que la consommation repose sur le dogme de la croissance, et que la croissance comme seul dogme économique met en danger la planète de par le pillage des ressources à court terme, et par les conséquences écologiques dangereuses que l'on connaît.
Revendiquer le droit à la consommation alternative n'a alors rien de révolutionnaire si elle ne prends pas en compte ces enjeux, c'est même tout le contraire.
Dans ce cas-là, il est déontologiquement malhonnête de se réclamer de Pasolini. Pourquoi pas de Debord, tant qu'ils y sont ?
Le point 5 met sur le même plan "la ferme célébrité" et le plus incompréhensible happening d'Arte. C'est un amalgame assez grave qui tient de la stratégie: "tout est de la merde, tout se vaut, alors lisez alternatif, le seul journal différent". Or tout ne se vaut pas, non.
Le point 14 y fait écho. Ici, c'est le refrain: tous les syndicats, tous les partis: tous pourris ! Et ce sous le prétexte d'empêcher l'ascension du F.N., qui a précisément fait du "tous "pourris" son système de flatterie populiste. Je souscris à ce niveau à ce que dit Amrith qui regrette "la critique d'absolument tout dans un même panier".
L'analyse de la diversité du panorama politique français est ici assez faible et se concentre sur les deux gros partis qui font l'alternance. Sachant que le P.S. aimerait éliminer tout ce qui est à sa marge pour créer un système à l'américaine, je trouve d'autant plus gonflé de faire son jeu tout en le fustigeant, soit en réduisant la gauche à sa seule existence.
Quant à la volonté de "virer les vieux de gauche", c'est d'un irrespect total pour certains de ces "vieux" qui n'en méritent pas tant: je respecte le travail de certains élus, vieux ou jeunes, qui tentent le plus honnêtement possible de faire leur travail. Mais bon, là ce serait rejouer le topic "moi, j'aime pas les hommes politiques", où ils auraient des arguments de choix, j'imagine.
Mais affirmer que "virer les vieux" est La solution du problème est d'un jeunisme repoussant, tant il semble écrit que vieux=cons.
C'est encore une fois la sémantique qui est regrettable et va à l’encontre de son projet, car il est évident que plus de jeunes dans la vie politique la renforcerait. On ne peut que souscrire à cela.
Donc si ce journal peut susciter un désir de prise en main de la chose politique par certains jeunes, c'est excellent. S'il peut les encourager à se frotter aux luttes de terrain, c'est encore mieux. C’est possible, à condition qu'il n'édicte pas la politique comme étant répugnante en soi.
Le point 6 pose aussi un problème: Warhol n'a pas "rêvé" le quart d'heure de gloire pour tout le monde dans les médias: il l'a prophétisé, tant soi peu que l'on puisse employer ce mot, en tant que constat inévitable de la multiplication des images. Pour des artistes, l'erreur est de taille. Quant à la télé-réalité, elle est l'accomplissement de la prescience de Warhol: j'avoue ne pas trop piger, là...
Le point 17 est intéressant, mais dire que signer un article par un pseudo plutôt que par le nom véritable est un authentique acte de courage qui va à l'encontre de l'égocentrisme journalistique laisse pantois (à moins que je n'aie pas compris): c'est au contraire le refus malhonnête d'assumer ce que l'on écrit, une sorte de lâcheté. Si on ne veut pas révéler son nom pour X ou Y raison, il n'y a pas de problème. Les pseudos ont toujours fait parti de la vie artistique comme journalistique, mais présenter cela comme un acte déontologique, c'est n'importe quoi.
Le point 9 sur le refus de l'anti-américanisme primaire est d'une telle évidence qu'il n'a rien de vraiment extraordinaire, mais la connexion avec l'arrivée du F.N. au second tour des présidentielles relève de la haute voltige dans l'artificialité du raisonnement.
Etc...
Ce manifeste pour le journal ne me donne pas vraiment envie de le lire. A mon humble avis, il y a une disproportion entre la terminologie révolutionnaire et les contradictions et concessions nombreuses qui sont faites à ce que les auteurs de ce journal semblent vouloir critiquer.
En revanche, l'idée d'un journal de libre expression permettant à des artistes, des auteurs, des journalistes, qui n'ont pas droit de cité ailleurs, ou qui cherchent tout simplement à avoir droit de cité quelque part est une idée très séduisante. Il s'agit d'en appeler au vivier créateur qui reste dans l'anonymat alors qu'il a des choses à proposer qui ne sont pas moins talentueuses que celles qui sont proposées par les autres médias. J'aime bien cette idée de "laboratoire" d'expression, qui peut effectivement, si le journal parvient à un tirage et à une reconnaissance réelle, agiter un peu la mare.
Mais agiter un manifeste révolutionnaire qui est pétri de contradiction ajoute un effet spectaculaire qui risque de masquer, ou de tourner à la mascarade, cette entreprise-là.
Si manifeste il doit y avoir (et dans la logique de "rupture" de ce journal cela semble nécessaire), peut-être faudrait-il revoir certaines choses afin qu'il ne prête pas à confusion.
Au moins ça. Pas de confusion. Le reste relevant de l'ordre de la conviction, le débat devient autre.
Si ce journal peut permettre l'infiltration d'artistes, la création de réseaux, on ne peut que lui souhaiter bonne chance. A condition à ce que tous ces poings levés s'assument et ne finissent pas par donner du vent.
Le fait que tu sois parti prenante, Guigui, te donne d'autant plus le droit de défendre ton beefsteak ! :D
Dans tous les cas je ne peux pas l'acheter, vivant en province. C'est un comble. Refuser l'élitisme, c'est déjà commencer simplement par refuser le parisianisme. :wink:
L'agent Squeulit pensait qu'il s'agissait en fait d'une pierre de forme triangulaire