par tonnerre de brest [dc] sur 12 Jan 2006 1:29
[size=200][b]Le diptyque télévisuel de Clooney [/b][/size]
« Good Night and Good Luck » ne traite pas seulement du mac carthysme. Son propos est plus vaste, et ce n’est pas le moindre des tours de force que d’aborder un épisode aussi crucial de l’histoire américaine par le truchement d’une réflexion sur la télévision.
Clooney a de la suite dans les idées. Son premier film, « Confessions d’un Homme Dangereux » (« Confession of a Dangerous Mind ») racontait déjà l’histoire d’un présentateur vedette. Il serait même possible d’imaginer qu’étrangement « Confession d’un homme Dangereux » apparaisse presque comme une suite de « Good Night and Good Luck »…
[size=150][u][b]Gloire et déchéance de la télévision[/b][/u][/size]
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« Good Night and Good Luck » commence en 1958, soit 5 ans avant les faits racontés.
Cet extraordinaire début, qui prend au dépourvu le spectateur comme le présentateur prendra au dépourvu ceux qui l’écoutent déplace le centre d’intérêt du film. De quoi est-il donc question ?
Une soirée a été organisée pour rendre hommage à Edward R. Murrow, journaliste et présentateur célèbre d’une émission sur CBS, où il a pourfendu « les ségrégationniste, les esclavagistes », et la croisade anticommuniste du sénateur MacCarthy. Un grand panneau « Hommage à Edward R. Murrow » signe l’intention de Clooney qui reprend ce fait réel pour se l’approprier. C’est le cinéaste qui tient un hommage appuyé à la figure marquante des premiers temps de la télévision.
Or, le discours de ce dernier ne relève pas des remerciements habituels. Murrow se lance dans une réflexion où il fustige la dérive de la télévision vers le tout-spectacle, l’unique divertissement, et l’abandon de toute pensée critique et réflexive.
Fondu au noir : 5 ans auparavant, Murrow anime encore l’émission par le biais de laquelle il va contribuer à faire chuter MacCarthy.
[size=150][u][b]Apologie d’une télévision révolue[/b][/u][/size]
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A partir d’un article de presse expliquant l’éviction d’un pilote de l’armée parce que son père lisait des journeaux serbes, et précisant que ce pilote devait dénoncer son père et sa sœur comme communistes, Murrow et son producteur, Fred Friendly commence à s’attaquer aux méthodes inquisitoriales de MacCarthy.
Avec une précision minutieuse, Clooney montre alors le travail d’investigation de cette poignée d’homme qui allait déchirer le silence que faisait régner MacCarthy par la terreur. Une scène émouvante montre Friendly demander à ses journalistes, afin de ne donner aucune faille à l’ennemi, si l’un d’eux a fricoté avec des communistes, de manière à ce qu’il se retire. L’un d’eux « avoue » que son ex-femme allait à des réunions du P.C… Murrow décide de le garder avec cette consternante révélation : la terreur s’est introduite dans leurs bureaux, en eux, et leurs principes devront lutter contre leurs craintes.
Avec le soucis de l’historien, Clooney reconstitue le tournage des émissions, avec comme prompteur un gars qui tourne des panneaux, Friendly qui fait le décompte avant le direct, couché aux pieds de Murrow, l’observation critique des tournages de « procès » projetées sur écran, par les journalistes qui choisissent quel contenu garder, le télécinéma qui s’en suit, les téléphones qui sonnent après la première émission.
Le décor reconstitue l’époque au détail près. Et pour cause ! Ceux qui auront suivi le générique ont noté que Clooney a pris comme conseiller deux héros du film : Joe Wershba et Shirley Wershba (interprétés dans la fiction par Robert Downey Jr et Patricia Clarkson ), soit deux témoins s’il en est des évènements, ainsi que les enfants du pilote incriminé.
Et quand on voit les conditions de travail, on ne peut dire qu’une chose : ces femmes et ces hommes étaient des héros.
[size=150][u][b]Burrow vs Barris : “Good Night and Good Luck » vs « Confession of a Dangerous Mind »[/b][/u][/size]
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Sam Rockwell dans le rôle de Chuck Barris
Que reste-t-il de ces personnes qui mettaient en danger leur crédibilité, leur travail, leur paye, pour leur conviction déontologique ? Dire que l’espèce a disparu serait abuser, mais la fonction sociale de la télévision a bien changé : divertir, manipuler, endormir les consciences pour une large part de ses programmes.
« Confession d’un Homme dangereux » raconte l’histoire de chuck Barris, qui présente ainsi sa vie : "Mon nom est Chuck Barris. J'ai écrit des chansons pop, j'ai été producteur de télévision, j'ai inondé le petit écran d'émissions d'une terrifiante débilité. Et j'ai tué trente-trois personnes." L’animateur a remplacé le journaliste, et use de la télévision comme d’une arme débilitante et comme couverture pour des activités d’espionnage et de tueur pour la C.I.A..
Il ne reste plus en cette période que « les câbles et la lumière », comme le pressentait Murrow, qui lui était espionné au contraire par le F.B.I.. Cette époque qui lui succède puisque Barris commence sa carrière dans les années 60, années du « jubilée » de Murrow où celui-ci annonce le déclin du petit écran. Mettez les films à l’envers dans la filmographie de Clooney, ils se font suite. Que Barris ait été un affabulateur ou pas, l’analyse reste obsédante pour Clooney : la décadence de l’Homo Televisis…
A noter que Clooney use des mêmes méthodes historiques : Chuck Barris était conseillé sur le tournage, et le film se termine sur un plan de lui en 2002.
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David Strathairn dans le rôle de Murrow
[size=150][u][b]Du petit écran dans le grand[/b][/u][/size]
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Au cinéma le regard adressé au spectateur est une faute du langage classique (sinon il y a subversion du code visuel). A la télé, hors fiction, le présentateur ou l’animateur regarde droit dans les yeux les téléspectateurs. Clooney traitant de la télé au cinéma opère un mélange subtil de medium. Ainsi, Burrow regarde le spectateur droit dans les yeux à chaque émission diffusée. Le grand écran se pare des oripeaux du petit, et le résultat est d’une efficacité redoutable.
Afin de rappeler constamment son sujet, Clooney incluse dans le cadre les moniteurs qui montrent l’émission passant l’émission qui est en train d’être filmée. Le scène est donc redoublée : dans les studios le héros présente son émission, sur grand écran, mais à ses côtés, un petit écran diffuse les mêmes images prises sous le même angle ou un angle différent de l’émission en direct. Subtiles images composites où le grand écran fait l’apologie du petit quand il veut donner du sens.
De même il filme la télévision, et le travelling avant final sur la dernière image TV va à la rencontre du président Eisenhower comme si l’on passait d’un support visuel à l’autre. Avec comme élément clé le contenu du discours politique, bien sûr.
A cela il faut rajouter les studios et les bureaux eux-mêmes, percés de vitre, de fenêtres, de cadres dans le cadre. L’univers du film est sans cesse rappelé formellement.
Le plus beau plan se situe sans doute au début : pendant qu’un maître de cérémonie rappelle les glorieux faits d’image de Burrow, celui-ci reste assis derrière un écran sur lequel on projette des photos de lui dans ses émissions. Véritable conscience derrière le miroir, il passe ensuite devant pour délivrer sa morale.
Ainsi, « Good night and Good Luck » en appelle à la conscience de la télévision tout en commentant un fait historique liberticide. Un rappel très actuel pour la télévision américaine sans doute, mais aussi pour toutes les télévisions du monde.
A voir rapidement !
P.S. : il y a tellement de choses à dire sur ce film, son esthétique noir et blanc, le maccarthysme, que j’en parlerai de ça dans d’autres posts… Merci aux courageux :twisted: !