Re: Twin Peaks le retour
Publié : 28 août 2017, 20:06
Non je n'ai pas de compte Youtube
La Vérité Est Ici
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Pacôme Thiellement a écrit :Hypothèses sur les deux derniers épisodes de « Twin Peaks – The Return » et le sens global du récit.
1) La séquence d’ouverture de The Return, où The Fireman donne à Cooper des indices (« 340, Richard et Linda, two birds with one stone »), s’adresse au spectateur autant qu’à Dale Cooper. Elle a exactement la même fonction que celle de Gordon Cole au début de Fire walk with me où il présente sa cousine Lil, la danse et la rose bleue. Il nous prévient de la façon dont la nouvelle fiction va procéder, et ses raisons de procéder ainsi.
- Il est d’abord question de « sons » : ces sons qu’on va retrouver à l’identique au moment où Laura disparaît à la fin de l’épisode 17.
- Il est question de quelque chose qui est « désormais dans la maison » (cela signifie que le monde imaginal ou l’univers intermédiaire, surnaturel, du Fireman est contaminé, qu’il n’est plus indemne du mal que l’on voit représenté dans le récit, mais encore que, réciproquement, ce mal qui était « contenu » dans la fiction est désormais partout : à l’image du téléviseur brisé de l’ouverture de Fire Walk with me, il nous dit que ce dont il va parler nous concerne directement : c’est « dans notre maison » que ça se passe, c’est dans notre réalité).
- Il y est dit que, moins que jamais, on ne pourra en parler à « haute voix », à découvert. Au « code » de Gordon Cole répond le silence du Fireman.
2) The Return, comme le premier Twin Peaks, nous a laissé nous embarquer sur une fausse piste et avec un faux « méchant » : le doppelgänger. Le doppelgänger est à cette saison ce que Wimdom Earle était à la précédente : l’homme qui se croit « le grand méchant » de l’histoire, celui qui pense être maître du jeu parce qu’il a toujours un coup d’avance par rapport aux personnages principaux, mais dont on se débarrasse très facilement dans les derniers moments de la fiction.
- Earle est vidé de toute autorité par Bob une fois entré dans la Black Lodge (au point de disparaître complètement du récit : Bob l’a peut-être même annulé de la mémoire des hommes, ce qui expliquerait qu’on en fasse jamais mention dans The Return, même quand le projet Livre Bleu est évoqué).
- Le doppelgänger est « baladé » tout le long de The Return à la recherche de coordonnées qui ne mènent qu’à son emprisonnement d’abord, mis dans une cage par The Fireman ; à sa destruction ensuite : projeté dans la station du shérif où Lucy lui tire dessus. Bob ensuite est détruit par le gant magique de Freddie.
Conclusion n°1 : Le doppelgänger est un con.
3) Que voulait le doppelgänger ? Tout d’abord ne pas retourner dans The Black Lodge. Ensuite capter l’énergie de la puissance mauvaise qui lui a donné naissance, en finançant « The Glass Box » à New York (cf. la photo de Tammy montre qu’il est, sinon le « mystérieux milliardaire », au moins un de ses complices). Et peut-être même atteindre, par les coordonnées, la « maison » du Fireman pour profiter également de sa puissance.
A ce titre, il est le double de Wimdom Earle dans le premier Twin Peaks : Earle voulait atteindre la Black Lodge pour profiter de sa puissance. Il s’est fait déboiter par Bob. Mais, pas plus que Earle, Bob n’est qualifié. Bob n’est que « le mal que font les hommes ». Il est certes plus puissant que les hommes, il est plus puissant que Earle, mais, face aux hiérarchies cosmiques de Twin Peaks, il reste un rigolo. C’est le pantin des woodsmen, eux-mêmes des chevaliers mineurs de la puissance mauvaise.
4) Qui est le vrai « méchant » de The Return ? Le début du 17e épisode le dit : c’est « Judy ». Sur ce sujet, « rien ne peut être dit à haute voix » nous dit The Fireman dans le 1er épisode. Donc tout ce que nous pourrons en déduire ne sera que des spéculations et des hypothèses. Dans Twin Peaks « on ne parlera pas de Judy ».
Alors spéculons :
a) « Qui est Judy ? »
Judy est la puissance que l’on voit dans le premier épisode de The Return s’attaquer à Sam et Tracy. Cette puissance qu’on appelle d’abord « experiment » (dans les crédits du 1er épisode et du 8e) et qu’on désigne peut-être par « Mother » dans le 3e épisode. C’est en réalité l’apparition de cette puissance qui effraie The Fireman dans la séquence du 8e épisode, et non Bob qui n’en est qu’une émanation.
b) Du coup, conséquemment, Laura n’est pas investi par The Fireman de la puissance de détruire Bob (c’est Freddie qui détruira Bob) mais de celle de détruire « Experiment »/« Mother »/« Judy ». Si, lorsque Cooper parle de « tuer deux oiseaux avec une pierre » (dixit Cole), il parle de détruire « Judy » en même temps que « Bob », il fait l’erreur d’associer deux puissances qui ne sont pas comparables, exactement comme il l’avait fait dans le premier Twin Peaks en croyant pouvoir arrêter Earle et conjurer la puissance de la Black Lodge par la même occasion. Si Earle pouvait être arrêté, Bob était alors plus fort que Cooper. Et, désormais, si Bob peut être tué, il n’en est pas de même pour Judy. C’est ce dont parle la fin de The Return.
5) Que se passe-t-il a la fin de The Return ?
I – Après la mort du doppelgänger et de Bob, Cooper part dans une « chambre » du Great Northern. C’est la « chambre 315 » qui est une sorte de porte vers l’autre monde. Gordon Cole et Diane l’accompagnent sur le seuil. Là, il leur demande de ne pas aller plus loin, et dit à Diane qu’il la retrouvera au « lever de rideau ».
II – A l’intérieur, Cooper retrouve Philip Gerard qui redit le poème d’« invocation » (ce moment rejoue partiellement le pilot européen de Twin Peaks où il trouvait Bob et Gerard dans la chaufferie du Great Northern). La formule « Fire walk with me » les transporte « au-dessus du Convenience Store » à travers les couloirs du rêve de Laura et du motel de Teresa Banks jusqu’à Philip Jeffries.
On remarque qu’il n’y a plus de woodsmen : ceux-ci ont disparu depuis la mort de Bob. Il reste le jumping man mais il fuit comme un dératé. Tous les démons mineurs ont été effacés du récit.
III – Cooper demande à Jeffries de l’envoyer le jour de la mort de Laura Palmer. Jeffries lui dit qu’il y « trouvera Judy » et le projette, par l’électricité, le jour en question.
IV – Cooper y réussit à détourner Laura de son destin, ce faisant il annule la mort de Laura Palmer et tout le récit que nous avons connu comme celui de Twin Peaks.
Mais cela rend Judy folle de rage. Sarah Palmer qui, donc, sert de véhicule à la puissance de Judy, s’acharne sur le portrait de Laura dans un rituel de magie noire afin de détraquer la réalité en retour. Même si je n’en suis pas certain à 100%, je m’accorde avec l’idée de Bertrand Keufterian qui disait que la jeune fille du Nouveau Mexique était Sarah et qu’elle avait absorbé alors la puissance mauvaise sous la forme de la grenouille volante. Cela expliquerait qu’elle soit « habité » par la puissance négative majeure (attentatoire aux réalités supérieures) de Judy, comme Leland puis Cooper étaient habités par la puissance négative mineure de Bob.
V – Laura disparaît donc après que Cooper ait « entendu les sons » (on en revient à la première scène de The Return). Ces sons ont probablement été produits par Judy qui alors s’attaque à Laura.
VI – Episode 18, Cooper est de retour dans la Red Room (on en revient à « la case départ » de son récit : « Est-ce le futur ou est-ce le passé ? »). Mais Laura n’apparaît plus sur le siège voisin de Philip Gerard. Puis le Bras demande s’il s’agit de « l’histoire de la petite fille qui habitait en bas de la rue » comme Audrey dans une de ses séances avec Charlie. C’est comme si le bras lui-même commençait à ne plus se souvenir du récit, comme si lui-même perdait la tête, un peu comme Hal à la fin de 2001. La Red Room est désormais impuissante à aider Cooper. Plus d’affaire Laura Palmer, plus de Bob, plus de puissance de la Black Lodge : le récit initial de la série se disloque. Il ne reste plus que Cooper et sa quête de Laura et de Judy. Et il lui reste les indices donnés, dans un temps immémorial, par le Fireman.
Cooper ressort alors du cercle des 12 sycomores avec la mission de retrouver Laura et de combattre Judy.
Désormais les indices donnés par le Fireman servent à vérifier qu’il accomplit chaque étape, quand bien même nous ne voyons pas ces étapes comme des réussites mais comme des plongées dans la détresse ou la banalité. Ici le récit se met à ressembler au récit gnostique de l’Hymne de la Perle, avec un prince qui a oublié sa véritable identité et erre comme un clochard alors qu’il doit retrouver la perle protégée par un dragon (je lis Twin Peaks avec les références que j’ai, hein les amis). Et l’épisode 18 est particulièrement éprouvant parce que la quête initiatique se fait désormais, non plus ténébreuse (contre-initiatique comme dans le dernier épisode du premier Twin Peaks), mais représentation profane, plongée impitoyable dans la banalité et la misère.
Cooper lui-même n’a plus de fantaisie : il est l’ombre de lui-même. Il n’est pas ténébreux comme le doppelgänger ou amnésique comme Dougie Jones (notre précédent récit d’anamnèse gnostique) : il est terne. Le Texas qu’il visite n’est ni enchanté ni infernal, mais banal. Après leur nuit ensemble, qui ressemble surtout – dans sa forme – à une scène de sexe adultère entre deux collègues de bureau, Diane laisse à Cooper une lettre où elle s’adresse à « Richard » et qu’elle signe « Linda ». C’est la 2e étape, après le 340e kilomètre. En s’enfonçant dans une réalité « rugueuse », pénible, Cooper se rapproche secrètement de la source qu’il recherche.
Cooper, traqueur de signes, trouve le dinner « At Judy’s ». Il y cherche, intuitivement, la serveuse manquante. Après une nouvelle épreuve de chevalerie (sauver la « princesse » des trois « ennemis », ici une serveuse emmerdée par trois cowboys) mais celle-ci exécutée sans émotion, sans humour, sans douceur, froidement et tristement, Cooper réussit à retrouver Laura. Sauf que, nouveau récit d’amnésie, Laura a oublié qu’elle était Laura. Comme Cooper avait précédemment oublié qu’il était Cooper. Le dernier épisode rejoue l’ensemble de la saison : l’anamnèse de Cooper était le sujet des épisodes 3 à 16. Celle de Laura va être le sujet de l’épisode 18.
Et Cooper va réussir. Les dernières images, profanes (plus un seul détail surnaturel), désenchantées (la ville de Twin Peaks n’a jamais eu l’air aussi banale), vides (les personnages n’ont rien à se dire), ennuyeuses à mourir (on a roulé en silence pendant plus de 20 minutes pendant la dernière heure de The Return) sont, contre toute apparence, les images de la première victoire de Cooper contre Judy. Laura a retrouvé la mémoire. L’anamnèse a eu lieu. Elle n’est plus « Carrie Page ». Elle va pouvoir accompagner Cooper dans sa véritable mission.
Mais celle-ci aura lieu « en secret ». Elle ne peut pas être « dite à haute voix » comme a dit The Fireman en ouverture de la série. Celle-ci ne peut avoir lieu que dans un monde profane, une réalité désenchantée, un univers sordide : c’est le véritable enfer, et c’est notre monde (d’où finalement, une évocation du 4e monde comme le disait Bertrand Keufterian dans ses vidéos : c’est le monde réel des vrais locataires de la maison des Palmer, la femme qui joue Alice Trémond est la véritable habitante des lieux). Cette réalité désenchantée est le résultat de ce qu’a produit « Judy ». C’est un monde de pure détresse. Même Bob, affublé de tous ses gadgets tapageurs et de sa magie noire, apparaît comme naïf a côté d’elle.
6) Et après ?
La quête du spectateur, comme celle de Dale Cooper, ne fait que commencer. Retrouver le « monde » enchanté de Twin Peaks sera plus difficile que jamais.
Il faut tout revoir à nouveau. Il y a de fortes chances que la grande majorité des récits secondaires (enténèbrement de la ville, misère des habitants, menaces qui pèsent sur les enfants, même ce qui concerne le personnage de Red, etc.) soient, comme le récit de Sarah Palmer, des « signes » de la montée en puissance de Judy sur Twin Peaks et sur notre monde. La mise à mort des spectateurs passifs dans le 1er épisode de The Return est le symbole de ce que peut produire Judy si nous ne faisons pas preuve d’une extrême attention.
Hé oui, le vrai intérêt est là.syldana a écrit :Après suite à la lecture de vos diverses analyses, Dale a sa "quête", il y avait toute une trame de fond mystique, mythologique... merveilleusement mise en place et dont on retire énormément et sur lequel il faut vraiment se concentrer pour oublier l'énorme frustration qu'aura été tout le reste...
Certes, tout comme résoudre le meurtre d'une jeune fille dans une petite ville. Tout dépend de la manière dont c'est fait. Tu ne peux nier une certaine originalité dans la forme... Surtout que les choses ne sont jamais dites "à haute voix", tout est dans la suggestion.Gruic a écrit :Briser le quatrième mur, se balader dans des mondes alternatifs, chercher le rêveur etc., comme dit précédemment ça a tellement été fait, refait et archi-fait...
Mais où s'arrête le mutisme volontaire et où commence les biais de confirmation de fans pour assembler les pièces à la place des auteurs ? Tout n'est qu'une question de foi envers les scénaristes. Je prédis un prochain roman de Frost plus terre à terre, que Lynch ne lira pas non plus, et qui en cherchant à faire illusion de cohérence ne fera que souligner le schisme entre les 2 visions.tout est dans la suggestion.
Tout à fait.Gruic a écrit :Tout n'est qu'une question de foi envers les scénaristes.tout est dans la suggestion.