par N°6 sur 23 Mar 2006 13:56
[quote]
[b]Les virus, champions hors norme de la mondialisation[/b]
LE MONDE | 22.03.06 | 14h39 • Mis à jour le 22.03.06 | 14h42
Entre les travaux de Louis Pasteur sur la rage, entre 1880 et 1885, et 1986, soit en un siècle, les biologistes ont identifié et décrit 1 700 virus. Moins de deux décennies plus tard, fin 2004, le huitième rapport du Comité international de taxonomie des virus en recensait... 6 247 ! "Et l'on peut penser que ce nombre n'équivaut peut-être qu'à 1 % de l'ensemble", avance le virologue des plantes Claude Fauquet (Danforth Plant Science Center, Saint-Louis, Missouri), qui a coordonné la rédaction de ce rapport. Ainsi, en dépit des progrès majeurs accomplis grâce à la microscopie électronique puis à la biologie moléculaire, la "virosphère" est un univers qui reste, pour une large part, à explorer.
Baptisées virus en référence au latin "poison", ces étranges entités sont constituées d'un acide nucléique (ADN ou ARN) et de protéines. Elles campent sur les frontières du vivant et de l'inerte. Elles sont, aussi, omniprésentes à la surface de la Terre. On peut les trouver dans l'air, dans l'eau et au sol, mais aussi chez les eucaryotes, les bactéries et les archébactéries (voir le lexique dans l'infographie) qui constituent la troisième branche du vivant. Eucaryote parmi les eucaryotes, l'homme n'a jamais échappé à leur emprise. L'histoire en garde les traces, qu'il s'agisse des multiples vagues épidémiques grippales ou de l'importation en Amérique par les conquistadors des virus de la rougeole et de la variole.
Ce qui semble nouveau dans ce domaine tient au rythme d'apparition de nouveaux agents viraux pathogènes dans l'espèce humaine. Au cours des trois dernières décennies, trente-cinq nouvelles maladies, dites "émergentes", ont été recensées, dont vingt-six virales - parmi lesquelles vingt-quatre dues à un virus à ARN et deux à un virus à ADN.
Pour le professeur Mark Woolhouse, spécialiste d'épidémiologie des maladies infectieuses à l'université d'Edimbourg, l'augmentation rapide de ces nouveaux agents pathogènes dans l'espèce humaine constitue un phénomène incompatible avec ce que l'on sait de l'évolution. Conséquence : soit ces nouveaux agents ne persisteront pas chez les humains, soit "nous sommes, souligne-t-il, en train d'observer quelque chose d'inhabituel".
Différents facteurs peuvent expliquer ce phénomène. Certaines activités humaines sont à l'origine directe de l'émergence de nouvelles affections virales. C'est le cas de la déforestation, de l'orpaillage ou du développement de la chasse dans certaines régions tropicales, qui ont mis l'homme en contact avec des animaux porteurs des virus Ebola, Marburg ou Nipah.
Ailleurs, c'est l'évolution démographique qui, conduisant à une promiscuité grandissante avec des animaux d'élevage, facilite les transmissions interespèces. Ce dernier scénario est à l'origine de l'épizootie de grippe aviaire, aujourd'hui en pleine progression et qui augmente les risques d'émergence d'une pandémie meurtrière.
Tous les épidémiologistes redoutent, par ailleurs, les conséquences de la rapidité des transports et de la multiplication des échanges commerciaux, qui permettent aux virus de passer, en quelques heures, d'un continent à l'autre. Ce fut le cas lors de l'épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), apparue en Chine en 2002 et identifiée à Toronto via ce que les spécialistes qualifient de "diffusion aéroportée".
"Des comportements et des pratiques socioculturelles qui favorisent la multiplicité des contacts interhumains (prostitution, camps de réfugiés, toxicomanie...) ont joué et continuent malheureusement de jouer un rôle déterminant dans la propagation et donc dans l'émergence de nombreuses maladies virales", soulignent Antoine Gessain et Jean-Claude Manuguerra, spécialistes de virologie à l'Institut Pasteur, à Paris, dans leur récent ouvrage Les Virus émergents (PUF, collection "Que sais-je ?"). C'est en partie le cas de l'épidémie de sida, due à un virus apparu en 1981 dans les communautés homosexuelles américaines et qui infecte, aujourd'hui, plus de 40 millions de personnes dans le monde.
Sans doute faut-il faire la part entre les virus réellement émergents et ceux qui sont le fruit, pour reprendre la formule de MM. Gessain et Manuguerra, d'une "émergence de connaissance", c'est-à- dire non émergents mais seulement récemment découverts. Dans le premier groupe figurent des virus aussi différents que celui du sida, ceux des fièvres hémorragiques et le virus sin nombre, identifié en 1993 après une épidémie survenue dans l'Etat du Nouveau-Mexique chez des Indiens Navajos. Figurent aussi, dans ce groupe, les virus responsables des épidémies saisonnières de grippe. D'origine aviaire, ces derniers virus peuvent circuler à travers le monde via les phénomènes migratoires, les oiseaux constituant un groupe zoologique essentiel dans l'écologie de ces agents pathogènes. Ils peuvent aussi, par le jeu des mutations continuelles de leur patrimoine génétique, être à l'origine de pandémies comme, au XXe siècle, celles de 1918 (dite "grippe espagnole"), 1957 (dite "grippe asiatique") et 1968 (dite "grippe de Hongkong").
Dans le groupe des virus découverts grâce aux progrès de la biologie, on peut citer l'herpès virus 8. Responsable du sarcome de Kaposi, une tumeur cutanée décrite en 1872 par le dermatologue autrichien Moritz Kaposi, il n'a été découvert qu'en 1994 aux Etats-Unis. C'est le cas, aussi, des virus susceptibles de provoquer des hépatites et qui ont progressivement été découverts dans la seconde partie du XXe siècle.
Si l'on excepte les antirétroviraux, mis au point grâce à l'intensification de la recherche sur le sida, on ne dispose pas de médicaments efficaces contre les infections virales. La seule parade est donc la vaccination préventive, qui a permis l'éradication planétaire de la variole. Le même résultat est en passe d'être obtenu pour la poliomyélite alors qu'il ne cesse de s'éloigner, en dépit des objectifs de l'OMS, pour l'hépatite virale de type B.
Les virus peuvent aussi causer des ravages dans le règne végétal et certaines pratiques commerciales peuvent leur être très favorables. "Pour ce qui est de l'effet de la mondialisation sur les maladies des plantes, on a à peu près tous les cas de figure", explique Claude Fauquet. Ce spécialiste des virus végétaux précise qu'on a dénombré 147 espèces pouvant infecter 800 plantes.
Il y a le transport par avion des insectes vecteurs des virus comme les mouches blanches aux Etats-Unis. Il y a aussi le transport aérien des virus eux-mêmes, comme le Tomato Yellow Leaf Curl Virus (responsable d'une pathologie de la tomate), désormais présent aux Etats-Unis et au Japon. Des mélanges de différentes souches d'un même virus peuvent également aboutir à un mélange "détonant" et aboutir à des formes hautement pathogènes d'une maladie. C'est notamment le cas de la mosaïque du manioc, désormais omniprésente en Afrique.
Il faut encore compter avec l'effet du réchauffement planétaire sur certains insectes porteurs, qui remontent vers le nord, en France, en Italie et en Espagne notamment. Il y a, enfin, en Espagne, l'effet de l'utilisation de serres en plastique, qui favorisent les explosions de maladies virales. "Maintenant que l'on peut reconnaître les virus via leur génome, il est plus facile de les suivre à la trace et de reconstituer leur périple, précise M. Fauquet. Il est évident que la globalisation, avec, par exemple, la production de plantules de tomates dans une partie du monde, leur culture dans une autre et la consommation dans une troisième, favorise la diffusion de ces virus."
L'histoire du coton pakistanais illustre les dégâts collatéraux de ces échanges. En 1993, le Pakistan était le troisième producteur mondial de coton, mais les fibres de la variété locale étaient de qualité médiocre. Aussi décida-t-on d'importer des semences texanes. Trois ans plus tard, 8 millions d'hectares étaient cultivés avec ce coton haut de gamme. Celui-ci se montra très sensible à un virus local, porteur de la Cotton Leaf Curl Disease. Il fallut alors réintroduire l'ancienne variété. Trop tard : l'essai raté avait eu pour conséquence l'augmentation massive de la charge virale dans l'environnement, à laquelle l'ancienne variété, malgré sa robustesse, n'a pas pu résister. Un coton plus robuste a certes alors été trouvé, mais il vient lui aussi de succomber à l'agression virale. L'agriculture pakistanaise en a été durablement affectée.
Conscients que l'on ne peut pas s'opposer aux multiples éléments qui, globalisation ou pas, facilitent la dissémination et les émergences virales, les spécialistes plaident pour le développement des méthodes d'alerte les plus fiables et les plus rapides dans les populations végétales, animales et humaines.
Hervé Morin et Jean-Yves Nau
Article paru dans l'édition du 23.03.06
[url]http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3244,36-753434@51-746222,0.html[/url]
[/quote]
Si quelqu'un m'a compris c'est que je n'ai pas été clair.