De quoi parle-t-on au juste quand on parle du film de Mel Gibson ? De la polémique, de l'esthétique du film, du discours de Gibson ? Tout s'emmêle de manière consubstancielle mais en fin de compte on ne sait pas réellement sur quels critères repose le jugement.
Comme le sujet me passionne, et comme je ne suis pas toujours d'accord avec l'analyse de N°6, je vais tenter d'apporter une petite contribution, histoire d'apporter encore plus de confusion ! :wink:
Pour moi l'importance de ce film tient dans sa perception sociale. Il révèle une grave récession dans la liberté de pensée, un certain retour de l'esprit de censure, et au communautarisme de pensée de type sectaire.
Il est évident que si un cinéaste propose un film nazi, ce film doit être censuré. Pas de liberté pour les ennemis de la liberté. Et puis c'est la loi, point final.
Il n'ya rien de tel dans le film de Gibson, et pourtant, il a bien failli ne pas être diffusé, ce qui implique un accord tacite de tous les distributeurs, donc une censure, quoi qu'on en dise. Ca me scandalise. D'où la rareté des analyses sereines.
Soyons sereins
1) La polémique
La polémique autour du film, ce topic en témoigne, a commencé avant même la sortie du film en France. Elle se basait sur deux axes:
- L'antisémitisme
- La violence
Il est évident que ce film débarque dans notre bonne société française à un moment propice au calme: replis identitaires, lois sur la laïcité, extrémismes de tous poils, etc...
Le principal reproche fait au film serait son antisémitisme. Le problème, c'est que bientôt prononcer le mot "juif" sera taxé d'acte antisémite !
Guigui, tu prends des risques en évoquant les lobbyes juifs. Il y a à peine quelques années, parler de cela t'aurait valu d'être traité d'antisémite.
Alors voici un exemple d'antisémitisme relevé dans le film par le cinéaste Elie Chouraki.
Selon ses dires, montrer Judas ramasser les 30 écus par terre avec avillissement est une caricature du Juif. Ah ? Judas rampant par terre pour un peu d'argent est surtout une représentation de la vilénie. Bon, passons. Le premier quart d'heure du film nous montre un Judas confronté au remord, matérialisé par le démon qui se fait son miroir, son chasseur, le poussant au suicide. Pendant toute la scène du Temple, Judas tend la main à Jésus, le visage larmoyant, alors qu'en parallèle il est lourdement insisté sur le fait que Pierre a trahi 3 fois. Le traitement de Judas me semble un peu plus nuancé que ce qu'en dit Chouraki.
Mel Gibson insiste lourdement sur le fait que ce sont les prêtres juifs du Temple qui veulent la mort de Jesus. Dans les écritures, c'est bien ce qui est dit. Les Pharisiens et les autres courants de pensée du Temple voulaient tuer celui qui venait apporter une révolution dans leur système de croyance et de pouvoir. Désigner les Prêtres juifs signifie-t-il désigner le peuple juif ? Bien sûr que Non !
Alors on s'en réfère au Concile Vatican II. Pendant 2000 ans, les chrétiens ont tenu les juifs pour responsables. Ce Concile réconcillie les deux religions, en enlevant cette charge sur le peuple juif. Or, ce Concile prône de nouvelles pratiques dans les rituels religieux. Et là, on s'en prend à la personne de Mel Gibson qui a fait construire sa propre église pour vivre sa foi selon les préceptes antérieurs au concile. On lui reproche d'avoir fait faire la messe en latin tous les jours sur le tournage. Cela démontre qu'il est un extrémiste religieux, un fanatique, c'est clair. Pourtant, il ne cesse de répéter qu'il n'est pas contre ce Concile, en particulier en ce qui concerne la réconcilliation juive-chrétienne: seulement la liberté des cultes étant totale aux Etats-Unis, il préfère pratiquer à l'ancienne. On fait en France un problème de ce qui n'en est pas un aux U.S.A., où on peut vénérer n'importe qui n'importe comment.
Alors on sort l'argument suprême: le père de Mel Gibson qui est effectivement un gros enculé ( désolé, mais là je ne peux pas m'en empêcher) d'antisémite et de révisionniste. Doit-on reprocher au fils la puanteur de son père ? Procès facile et fallacieux.
Quand on a tout épuisé, on constate qu'il suffit de regarder le film pour voir qu'il n'est pas antisémite.
Jesus est bien crucufié comme "Roi des Juifs". Jesus était juif. Il était rabbin, et désigné comme tel dans le film. Il prodiguait son enseignement dans des synagogues. Le courroux des prêtres du Temple venait du fait qu'il universalisait le salut qui n'était plus seulement réservé au "Peuple Elu". C'est dans ce sens qu'il dit à Pilate que son royaume n'est pas de ce monde. il est spirituel, et non temporel.
C'est bien un juif qui l'aide à porter la Croix jusqu'au bout.
A part les romains, tous les personnages sont juifs.
Leurs comportements doivent être jugés d'un point de vue moral et non "racial" (je mets ce mot entre guillemet puisque les races n'existent pas).
Eli Chouraki serait bien inspiré de se taire lorsqu'on connait l'ignoble documentaire qu'il a pondu sur Montreuil, désignant tous les maghrébins comme antisémites et tous les juifs comme victimes, foutant le bordel dans une ville où le maire fait tout pour apaiser les tensions communautaires.
[quote] Dernier rebondissement en date : le refus par Marin Karmitz, patron de la société MK2, de programmer le film de Mel Gibson dans son réseau de salles. "Fasciste", "antisémite" et "d'une violence inouïe", tels sont les qualificatifs qu'il emploie pour juger ce long métrage [/quote]
Marin Karmitz est un des plus respectables distributeurs de France, qui a une très haute idée de l'art cinématographique. Mais sur ce point je ne le suis pas car il oublie de mentionner qu'il a refuser de distribuer le film "Féroce" qui expliquait le mode de fonctionnement et de pensée du front national. Film qui a été tourné dans des conditions éprouvantes ( l'équipe était traquée par les sbires du f.n.), avec si peu de moyens que les acteurs ont reversé une grande partie de leur cachet. Or, lorsqu'on se souvient des présidentielles qui ont vu l'ignominie arriver au second tour, ce film apparait tout à fait prophétique quant à la manière dont la campagne s'est déroulée. Marin aurait fait acte d'activisme antiraciste en sortant ce film.
Lui aussi aurait été bien inspiré de se taire.
La société française projette beaucoup de ses propres angoisses dans ce film qui exacerbe les passions communautaristes, fléaux contemporain. Mais de là à aller vers une interdiction qui n'ose même pas dire son nom, c'est grave.
Concernant la violence. On peut y revenir sur un plan esthétique. Mais entendre Eli Chouraki et x autres personnes dire "vous n'étiez pas là pour savoir comment ça s'est passé", ça dépasse les bornes.
Je suppose que pour ces personnes les archéologues ne servent à rien. Ceux-ci ont mis à jour les instruments de tortures utilisés par les romains. Ils savent parfaitement reconstituer, avec des médecins, comment les choses se passaient. On sait désormais que la façon dont Jesus est montré crucifié dans l'iconographie chrétienne ne correspond pas à la réalité (et là Gibson commet une erreur historique). Certains crucifiés ont été cloués aux poignets, et non aux paumes, et la position des jambes étaient latérale. La crucifixion était une asphixie lente, et une déshydratation, du à la position du corps.
S'il fallait avoir vécu chaque époque pour oser parler d'un fait historique, alors autant dire qu'il est vain de tenter des reconstitutions. Foutons les scientifiques dehors et ne faisons que du contemporain (reflète-t-il toujours la réalité ?).
Quel argument stupide.
2) Le film
Le film commence sur une panique. Celle que ressent Jesus sur le Mont des Oliviers en sachant quel sort il va endurer. Etonnante entrée en matière qui ramène immédiatement Jesus à sa condition d'être humain, habité par la peur dont le pendant sera le cri de l'abandon sur la croix. C'est en cela qu'il est possible de s'identifier très vite au personnage, car le but de Gibson est bien de nous faire rentrer dans ces souffrances. Non, Jesus n'apparait comme une statue. Je crois que l'on a là affaire à une question de sensibilité.
- La Voix
Géniale idée que de faire parler les personnages en Araméen, en Latin, en Hébreux classique. Il faut féliciter les acteurs qui donnent à ces langues une émotion alors qu'elle leur est inconnue. L'Araméen est encore parlé dans quelques villages de Galilée. Le latin est parlé selon la manière récente dont les linguistes l'envisagent: une langue coulante. Là encore, le recours à une approche scientifique permet à Gibson de donner un accent d'authenticité à la voix du Christ, voix qui est tour à tour craintive, impérieuse, souffrante, sereine. Cela rend-il la Parole plus authentique ? Je n'en sais rien. Mais cela lui donne "chair", et nous plonge dans la Galilée de l'époque aussi efficacement que la précision des décors ou des costumes.
- Le corps
Le film repose essentiellement sur le corps du Christ, et finalement moins sur son personnage. Comme si l'hostie était ici la représentation du corps tourmenté. Hostie visuelle qui répond à un autre sens que le sens liturgique, pratiqué lors de la Communion, mais ici communion avec l'image, celle de l'insoutenable. En cela, le film n'est pas un film de la présence du corps, il ne cherche pas une ontologie du réel. Il est dans la monstration qui, on le verra après, devient démonstration. Monstration d'un corps lacéré, quasi entomologique, où l'idée est de montrer la chair qui saigne, la chair auquel l'humain peut s'identifier. "Buvez, ceci est son sang", dit Gibson. "Le méritez-vous ?", rajoute-t-il. Ici s'inscrit la volonté de cadrer au plus près la meurtrissure du fouet et de ses accroches mettalliques qui arrache la chair sous nos yeux. Difficile de rester insensible à cela.
Corps fragile (et non faillible comme chez Scorcese), qui finit par céder. Quand Jesus Tombe à la renverse, un homme est sommé de l'aider. Il a d'abord peur de passer pour un criminel, parce qu'il porte la croix. Il va enfin l'accompagner dans son calvaire, et entrer dans la Foi en vivant le sacrifice. Cet homme est le spectateur qui doit endurer le spectacle (mot effroyable en la circonstance) pour comprendre.
- L'Oeil Divin
Au cinéma, tout est parfois problème de positionnement de la caméra. Ici, l'enjeu est central, puisque Mel gibson ne tente rien de moins que de montrer l'oeil de Dieu, et plus encore, Son regard.
L'oeil est constemment montré par l'intermédiaire des deux astres: la lune et le soleil. L'introduction, dans le Jardin des oliviers, se déroule sous une pleine lune implacable, tant pour le Christ qui souffre déjà de sa souffrance future, que pour le traitre et les romains. Oeil implacable du soleil qui s'acharne sur le Christ au calvaire. Jesus accomplit la volonté divine. Son abnégation est dans cette acceptation de ce soleil omniprésent dont l'éclairage un brin saturé amplifie le pouvoir.
Mais il y a aussi le regard, qui explique les nombreux plans en contre-plongée absolues: ce sont les regards des Cieux. La contre-plongée absolue est aussi une représentation d'un regard qui écrase tout. Mais ce regard, cet oeil, une fois la Passion accomplie, verse une larme. Vu du ciel, une goutte d'eau traverse l'écran et vient à la fois dire la colère et l'infini compassion.
- La souffrance
Vu la monstration de la barbarie romaine, Mel gibson aurait mieux fait de mettre les choses au clair tout de suite en intitulant son film "La souffrance Du Christ". Il est vrai que le mot "Passion" vient du mot latin "Patior", qui signifie "souffrir". Or, le point de vue n'est pas de montrer une passion pour la foi, mais une souffrance endurée pour accomplir la volonté sacrée. Et on a oublié cette ethymologie qui n'a plus rien à voir avec la passion au sens humain du terme.
- Le réalisme et la peinture / Le présent et le passé
Ces images sous un soleil saturé accentuent le réalisle de la situation. Mais encore une fois, c'est par une démarche raisonnée que Mel Gibson va donner le coup de grâce en matière de réalisme. Comme indiqué plus haut, les archéologues et historiens ont décortiqué le processus de la crucifixion. Il faut que le bras soit tendu. Or, quand le Christ est cloué sur la croix, les romains ne parviennent pas à tendre son bras. Il le tire si fort qu'on entend un ignoble craquement (sans doute l'épaule qui se démet). Ce genre de problèmes "pratiques" devaient, hélas, survenir. Pour Gibson, le réalisme, c'est le rappeler.
En revanche, tout au long du film, des flashs-back sur la vie du Christ sont traités avec un éclairage complètement différent. Chapeau pour le chef-opérateur. La lumière y est inspiré du Caravage, selon l'aveu de Mel Gibson lui-même. Et ça se voit: lumière contrastée en finesse et en douceur version renaissance. Comme si face à la douleur de la lumière crue se dressait la douceur de la lumière divine.
Pourtant, le cinéaste ne cède pas à l'iconographie facile. La représentation de La Cène est filmée en opposition à la sublime fresque de Léonard De Vinci. Celle-ci montre le Christe et les douzes apôtres de face. Mel Gibson s'obstine à la filmer de profil, rendant plus palpable encore la proximité des corps.
- Quelques plans touchés par le grâce
Le temps d'un plan, Mel Gibson arrive parfois à trouver quelque chose d'extraordinairement profond. C'est le cas quand, au moment où tout est terminé, d'un geste où tout se comprend, Marie-Madeleine remonte son Châle sur ses cheveux.
Ce sont surtout ceux qui correspondent à ces flashs-back. N°6 rappelle à juste titre la souvenir de Marie où elle a la vision de Jesus enfant. Celui où Jesus lave le pied d'un apôtre est tout à fait serein. Mais il y a aussi ce plan extaordinaire où Le doigt filmé en gros plan de Jesus trace une ligne sur le sol. Les cailloux volent et il est évident qu'il y a un trucage à base de pétards tant ça s'envolent dans tous les sens. Il y a là une puissance qui effectivement fait ressortir une toute puissance impressionnante ( confirmée par un contre-plongée sur le Christ ensuite) donnant le sentiment du Sacré. Précisons que c'est la scène où Jesus sauve Marie-Madeleine (qu'on peut regretter de voir étendue ainsi au sol...)
- Les non-dits de l'Evangile
Cela fait directement suite. S'il est vrai que Gibson suit l'es évangiles à la lettre, il en retire les phrases les plus célèbres pour leur donner un contrepoint visuel. Ce doigt qui trace un trait est la phrase: "Que celui qui n'a jamais pêché lui jette la première pierre", évitant ainsi la lapidation de Marie-Madeleine. De même, on n'entendra pas Ponce-Pilate dire "Je m'en lave les mains" car au moment où il va prononcer ces mots, Jesus se souvient de la scène où il lave le pied de l'apôtre, et un très bel enchaînement sur les bols emplis d'eau coupe la parole au romain pour revenir dans la sérénité passée.
Tout cela ne fait pas un chef d'oeuvre. Le film de Gibson n'arrive pas au pied, que dis-je, au pouce, de "La Dernière Tentation Du Christ" de Scorcese ou de "La Passion Du Christ" de Pasolini. Mais il n'en reste pas moins qu'il est excellent, réalisé avec un talent indéniable, et des éclairs fameux. Je pense que c'est un très bon film, largement au-dessus du lot des autres films réalisés sur le thème à part les deux autres que j'ai cité, qui sont eux au-dessus du lot quelque soit le thème :D !
Cela signifie-t-il pour autant que l'on doive adhérer au discours du film ? Non, parce que certaines fautes esthétiques, donc idéologiques l'entachent, ce qui en fait un film terriblement réactionnaire alors que ceux de Scorcese et Pasolini sont éminament progressistes.
3)Les évangiles selon Mel Gibson
On peut dire sans hésitation que Mel Gibson passe ... àcoté du message du Christ. Les romains sont montrés comme des animaux, à la limite édentés, les visages sont laids. Leur plaisir sadique est caricatural et outré dans la représentation ( sauf en ce qui concerne Pilate, bien sur ). Idem à la cour D'Hérode, où seule le regard échangé avec une éthiopienne relativise la chose ( ce regard fait référence à un personnage éthiopien qui apparaît plus tard dans les Evangiles). Sinon, ce n'est que rires stupides et beuglements bovins.
Or, dans la religion chrétienne, Jesus Christ souffre pour sauver l'humanité: son martyr lui donne la rédemption. Il est avant tout Amour du prochain. Cela ne ressort pas dans le film car ceux à qui il vient donner le salut, lesjuifs et le reste de l'humanité, sont représentés comme des pourceaux. Son regrad est dans le pardon et la compassion, ce qui n'est absolument pas le cas de Mel Gibson.
Pour ce dernier, l'humanité ne mérite pas d'être sauvée. Son film nous dit en permanence: "regardez ce qu'il a subit pour vous: le méritez-vous ?". Il éprouve sa foi dans la culpabilité. Lui-même prétend se sentir responsable de la mort du Christ. Cela se traduit par un aveu extaordinaire dans le film: la main qui brandit le marteau qui enfonce le clou dans la paume du Christ est celle... de Mel Gibson lui-même ! Il s'est filmé dans la posture du bourreau. La culpabilité plutôt que la rédemption, ou un savant mélange des deux... Si le final de la Ressurestion ne venait pas donner une note d'espoir avec ce sourire du Christ et ce corps enfin lavé de ses blessures, le film serait privé du message christique.
Sans doute est-ce qui manque cruellement au film: le récit de la résurrection.
Voilà, j'ai fini ma Nalyse, alors faites pêter la poire ! :D
Je précise quand même que je suis athée, ce qui rend sans doute subjectif tout cela.
Et j'insiste qu'il ait scandaleux que l'on ait voulu censurer ce film.