par tonnerre de brest sur 23 Nov 2004 20:58
[size=150][b]LAND OF PLENTY
TERRE D’ABONDANCE
De WIM WENDERS[/b][/size]
« Dans le Los Angeles des laissés-pour-compte,
deux oubliés de l'Amérique
se retrouvent dans une même quête de vérité…
Lui, c'est Paul, vétéran de la guerre du Vietnam et ardent patriote. Exposé à l'Agent orange quand il était Marine, il souffre de sérieux troubles psychologiques et d'une paranoïa aiguë. Depuis les attentats terroristes qui ont fait ressurgir les fantômes du passé, il est convaincu que l'Amérique est en état de guerre. En défenseur acharné de son pays, il sillonne désormais les rues de la ville à bord d'une camionnette équipée de micros et de caméras qu'il braque sur tout individu qui lui semble suspect…
Elle, c'est Lana, jeune femme profondément chrétienne qui a choisi de vivre en accord avec sa foi. Après plusieurs années passées en Afrique et au Moyen-Orient, elle rentre aux Etats-Unis pour s'engager dans une mission catholique qui vient en aide aux sans-abris. Elle cherche aussi à retrouver la trace de Paul, son oncle… »
Il est encore temps de trouver en salle le dernier film de Wim Wenders. Précipitez-vous…
Wenders, cinéaste définitivement apatride, nous entraîne dans un nouveau voyage par les âmes et par les routes. « Land of Plenty » est d’abord un film sur le déchirement, la séparation et les retrouvailles. Lana, fervente chrétienne débarquée de Palestine, dialogue via le net avec son amie Yael qui se réjouit que des israéliens et des palestiniens manifestent unis contre le mur de séparation israélien. Dès lors tout est question de barrières à faire tomber, de mondes qui s’observent sans se connaître, de murs qui cachent la réalité. Première vision de Los Angeles, celle non pas des ghettos, mais de la pauvreté sans toit, des rues où les sans-abri installent des campements de fortune. « Los Angeles est la capitale de la faim », assène le pasteur qui accueille Lana, celle que les médias se gardent de montrer, trop préoccupés à mentir sur l’Irak. Ou comment détourner le regard par le mur des images.
Tandis que son oncle (John Diehl), autoproclamé activiste anti-terroriste s’enferme dans un repli où l’identité est la souffrance et le patriotisme involontairement galvaudé. Sa tour d’ivoire : une camionnette avec caméras et enregistreurs pour traquer l’arabe, suspect par ce qu’il est ce qu’il est. Par une falsification de la moralité de sa vision, tout devient pour lui un univers de codes indiquant des traces du danger, de la catastrophe, du soupçon, et il ne voit rien d’autre en-dehors de la peur et de l’ennemi. Image montrant le visage de l’impuissance américaine, terrifiante et désarmée à la fois.
Une de ses proies imaginaires, terroriste potentiel, va faire le lien tragique entre l’oncle et la nièce.
Wenders écartèle alors son film entre les gros plans des paumés, héros en tête, des oubliés du système, et les plans larges de l’Amérique rêvée, celle de l’Ouest, et dont le rêve a disparu. Dans ce choc les corps se frappent aux murs des préjugés, et deux êtres aux antipodes vont se servir l’un de l’autre pour retrouver l’espace d’un temps une harmonie perdue. Le tour de force de Wenders est d’accompagner Paul dans son enquête absurde sans le rendre pitoyable. MAINTENANT SPOILERS ;
Au contraire, lorsque Paul découvre que l’arabe qu’il s’imaginait être le premier maillon d’une chaine terroriste n’est rien de plus qu’un S.D.F. assassiné par de petits riches blancs shootés, le spectateur partage sa souffrance de n’être arrivé à rien, dans une empathie bouleversante, où il se libère de lui-même. Un seul plan saisit sa solitude : Paul, à droite de l’écran, se profile sur les collines du désert, vide à l’infini. Trona, la ville qu’il se représentait comme planque d’agents dormants n’est rien d’autre qu’un village où, l’usine fermée, ne restent que les esseulés de l’économie triomphante des concentrations, les ruines et les fantômes d’un passé perdu. Un lieu qui semble ne pas exister, comme ses complots. Un lieu où un pakistanais pleure son frère tué pour rien, et montre à Lana un album photo de ce qui fut une vie heureuse avant la déchéance. Cette détresse là est non moins bouleversante, et les deux hommes semblent être le double l’un de l’autre.
Pakistan, autre pays déchiré par un conflit territoriale, celui du Cachemire. Pakistan, état voyou hébergeant des terroristes.
Comme autant de fils signifiants Wenders tisse la toile d’un monde où l’écoute n’existe plus, où tout se barricade, et où les Etats-Unis n’entendent plus personne. Lana, Yael, les palestiniens, les africains, les ombres déshérités de L.A. ne sont rien pour ceux qui ont récupéré les attentats à leurs propres fins.
Quand Paul peut enfin parler, il évoque la chute de son hélicoptère au Vietnam, et dans un raccourci saisissant raconte sa perception des attentats, l’idée que les tours allaient tenir, qu’elles ne s’effondreraient pas. Chute personnelle qui renvoie aux chutes de l’empire américain, qui s’accroche alors à un nationalisme exacerbé pour surmonter ses traumatismes, où nombre de citoyens voient vaciller leur perception du monde jusqu’à la perte. Que signifie ce drapeau américain arboré à la camionnette et claquant au vent : tout et rien, une récupération, un déni de ce qu’il devrait incarner. Lana imagine que les victimes innocentes des attentats aveugles n’auraient pas souhaité un monde de carnage et de guerre. Elle veut les écouter. Cinéaste profondément chrétien, Wenders ramène alors ces deux protagonistes à New-york, au ground zero. Et le héros de se dire qu’il se représentait cela différemment d’un chantier. Un panoramique remonte les tours invisibles, comme pour aller entendre ces voix qui ses sont tues. « La vérité, bientôt » s’inscrit sur l’écran.
Quand la désespérance aura laissé place à la compréhension de l’autre. Quand les Etats-Unis, terre d’abondance, feront montre de solidarité. Quand les problèmes de pauvreté du pays et du monde ne seront plus une négligeable affaire, un autre monde sera à construire. Etrange final où la tristesse appelle à l’exigence...
Mais tout le film, contemplatif de l’Amérique salie et belle à la fois, ne cesse d’explorer ses contradictions avec une foi teintée d’amertume dans un retour à la raison. Car le film est tout, sauf anti-américain.
Musiques de Léonard Cohen.
Quelques mots de Wim Wenders:
"Mais Land of Plenty n'est en aucun cas un film anti-américain. Le film parle du bouleversement affectif, de la souffrance et de la paranoïa qui se sont emparés du pays. De manière bien légitime, la plupart des Américains se sont montrés solidaires de leurs compatriotes durant cette période difficile, et il faudra du temps pour qu'ils comprennent à quel point on s'est servi de leur patriotisme.
J'aime toujours autant l'Amérique – j'aime ce que ce pays a symbolisé et ce qu'il symbolise toujours. Mais c'était terrible pour moi, en tant qu'Européen vivant là-bas, de voir toutes ces valeurs dévoyées.
D'entendre les mots "Liberté" et "Démocratie" tellement employés à tort et à travers qu'ils finissaient par être vidés de leur sens et devenir caduques. Enfin, presque. On a fait croire aux Américains qu'une guerre avait lieu, et qu'ils étaient en guerre. Mais par définition, on sait bien qu'il ne peut y avoir une "guerre" entre un pays et un groupe de terroristes. Déclarer la guerre n'a fait que servir les intérêts de ces terroristes.
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Politiquement, un abîme sépare, d'un côté, l'oncle Paul et ses idées de droite, et de l'autre, sa nièce Lana et l'éducation progressiste qu'elle a reçue. Je voulais qu'ils s'affrontent, mais je voulais aussi qu'ils conservent de l'estime l'un pour l'autre. Lana n'essaie pas de convaincre son oncle qu'il a tort. Grâce au mode de vie qu'elle s'est choisi, elle se contente de lui montrer quelles valeurs elle incarne. Et c'est de cette manière qu'elle parvient à ébranler Paul, mieux qu'en lui opposant n'importe quel argument.
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Je pense que le “rêve américain” n'existe plus. Personne n'y croit plus aujourd'hui. C'est une notion du XIXe siècle qui, grâce au cinéma, a survécu et est devenue l'un des mythes les plus importants et les plus puissants du XXe siècle. Mais, sur la fin, ce mythe n'était déjà plus qu'un souvenir nostalgique. On a assisté à ses derniers feux sous l'ère Clinton.
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Une paix nouvelle et une solidarité d'un autre type auraient alors pu se mettre en place – on aurait même pu en profiter pour tenter de combler le gouffre grandissant entre les pays riches et les pays pauvres. Mais nous sommes passés à côté de cette opportunité qui s'est – brièvement – offerte à nous. C'est un terrible gâchis dont nous avons tous été témoins.
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Nous avons tourné en 16 jours seulement, mais on travaillait entre 14 et 16 heures par jour ! Autrement dit, on a très peu répété, on tournait deux ou trois prises maximum par scène, puis on prenait une décision très rapidement. Autant dire qu'il nous était impossible de retravailler une scène tournée la veille.
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Land of Plenty parle de malhonnêteté, de duperie de l'opinion, d'exploitation du sentiment patriotique, de désinformation et de manipulation. Il s'agit avant tout d'une fiction, pas d'une œuvre documentaire, et donc le film s'articule autour d'une intrigue et de personnage davantage que de "faits".
Mais en fin de compte, lorsque les deux protagonistes, dont la démarche est parfaitement sincère, opèrent une véritable prise de conscience politique, j'espère que l'impact émotionnel est intact et qu'on sent bien qu'il y a alors un vrai besoin de changement. C'est en cela qu'un film peut délivrer un véritable message politique : en faisant passer l'idée qu'il faut que les choses changent, qu'un tel changement est une absolue nécessité."
L'agent Squeulit pensait qu'il s'agissait en fait d'une pierre de forme triangulaire