par Amrith Zêta sur 24 Jul 2009 2:12
Gruicmaster m'ayant demandé de donner quelques impressions non-spoiler sur [b]Evangelion : 2.0 You Can (Not) Advance[/b], à partir de camrips de piètre qualité et de scripts encore approximatifs, je m'exécute sur-le-champ, tout en concédant qu'il s'agit de remarques provisoires :
- j'ai été surpris par les nombreuses séquences, sinon humoristiques, en tout cas très légères du film. Je pensais que Anno allait faire le choix de rendre homogène sa trilogie par le biais d'un ton unifié et globalement plus sombre, il n'en est rien du tout. Il reprend tel quel la saveur parodique prononcée des Episodes 08 à 12, en insistant sur le ridicule à un point que l'on frôle parfois la fanfic. Cela donne notamment quelques scènes de complicité appuyée entre Tôji/Kensuke et Shinji, et plus étonnant... une présence accrue pour Pen-Pen, qui a même droit à une séquence d'animation complètement neuve mémorable. Cette version prend aussi parfois des airs de harem anime, consciente que la série en son temps a indirectement poussé au développement du genre, suffisamment pour s'interroger sur ce qui relève de l'intentionnel dans le long-métrage.
- je pressentais que Kaji deviendrait un personnage tertiaire dans le film, je me suis lourdement trompé là-dessus. En réalité Kaji a beaucoup plus de temps d'antenne qu'escompté, et ce n'est pas pour me déplaire. Le personnage qui pâtit le plus du grand nombre de protagonistes à l'oeuvre durant le film est, à mon humble avis, cette chère Ritsuko, laquelle est ici essentiellement cantonnée au jargon technique. On s'en doute, les véritables héros du film sont Shinji, Rei et Asuka, tandis que Misato sème un peu les projecteurs du premier volet. Gendô et Fuyutsuki ont un rôle légèrement plus consistant que lors du précédent long-métrage, notamment le premier, que l'on peut voir cette fois dans des situations inédites qui changent de ses mains croisées devant le menton.
- certains personnages sont très différents de ceux que l'on a connu durant la série. Le développement de Rei prend un versant étonnant, en l'occurrence elle rappelle indéniablement celle du manga et non de l'anime. Asuka est traitée de façon plus simpliste que dans la série, c'est-à-dire que ses traits de caractère sont maintenant plus saillants, le chronomètre tournant à vive allure. Globalement, les personnages sont plus émotionnels aujourd'hui qu'ils ne l'étaient il y a quinze ans, ce qui encore une fois renforce un certain aspect fanfic. La nouvelle venue, Mari, apparaît trois ou quatre fois durant le film, et se démarque des autres pilotes par son tempérament guerrier. C'est une assoiffée de sang et de LCL, que Anno décrit comme le seul protagoniste qui soit étranger à sa psyché personnelle. Sa présence pour le moment ne signifie pas grand-chose dans l'intrigue hélas, d'autant qu'elle agit surtout en solo, mais une certaine scène et le teaser de [b]Eva : 3.0[/b] laissent à penser que ses motivations et que son rôle seront dévoilés ultérieurement.
- le film est composé de cinq combats, dont deux tout à fait inédits mais très brefs. Le second en particulier doit durer entre une et deux minutes seulement, résultat apparent de sa qualité d'animation absolument géniale - c'est un duel qui joue beaucoup sur son itano circus et consomme par conséquent beaucoup de dessins. Les combats sont très espacés, et excellemment réalisés, même ceux déjà proposés dans la série ayant été modifiés ou customisés dans les détails les plus sordides - l'océan d'hémoglobine de Sahaquiel ou les intestins de l'Eva-03 possédée par Bardiel le diront mieux que moi. Le dernier duel est plutôt long comparativement aux autres et s'achève en trip mystique absolu qui annihile complètement les déclarations de Ohtsuki comme quoi RoE serait plus compréhensible que la série, en tout cas pour l'heure.
- le film est une ôde permanente au fan-service. Les personnages féminins n'ont jamais autant été déshabillés par les animateurs, et nouveauté concomittante à la féminisation du public depuis 1995, on adresse aussi du matériel plus soft en ce sens. Asuka porte une nouvelle plug-suit transparente et déambule en petite tenue sinon moins à plusieurs reprises, Misato est surprise nue sous la douche, Mari ondule à quattre pattes et honore à sa façon le GAINAX Bounce, Kaworu fait le gossbo' torse nu sur la Lune, et même Kaji y va d'une scène avec Shinji aux frontières de la fanfic et qui restera dans les agendas des fangirlz... Autre facette du service, celle des engins mécaniques en pagaille, très souvent représentés en 3D mais au design initial très détaillé. Il arrive que les Evas soient littéralement monstrueuses, démoniaques au sens étymologique du terme, à des degrés qui remémorent forcément [b]The End Of Evangelion[/b], et tandis que la série restait plutôt sobre sur ce plan, le film exhibe leur appartenance au Super Robot de manière exacerbée - la surenchère est de mise. J'ai pris note de la volonté de Anno de marcher sur les traces sanglantes de Go Nagai et de rendre hommage à la nouvelle génération de GAINAX, via l'introduction d'effets à la fois tellement démesurés et abstraits qu'ils semblent faire écho à [i]Tengen Toppa Gurren Lagann[/i].
- le film donne effectivement l'impression d'être précipité. Pas pour moi, qui suis capable de remplir tous les trous même sans le vouloir, mais je suppose qu'un public externe aurait bien davantage du mal à en apprécier la formule. Souvent, mais à ce titre le long-métrage n'est pas si éloigné de la série, on a l'impression de voir se succéder des tas de petites scénettes délivrant une information puis s'interrompant quelques secondes plus tard, ce qui n'est jamais recommandé lorsque l'on s'adresse à un public de profanes - la présence d'au minimum cinq membres au storyboard aurait pu être vraiment flagrante, ça n'est pas le cas, mais il serait mentir de dire qu'on ne le remarque pas. Cela étant dit, le résultat est tout de même moins rushé que ce à quoi je me préparais, et pour citer une référence de Anno, les long-métrages de [i]Mobile Suit Gundam[/i] paraissent encore bien plus déficient sur ce plan. Basiquement, la première moitié du film reprend la substance des Episodes 08, 09 et 12, tandis que la seconde insiste sur les Episodes 17, 18 et 19. En vérité, le découpage est autrement plus complexe et fait intervenir de nombreuses nouveautés en plus d'éléments tirés par avance de l'Episode 22.
- esthétiquement rien à dire, c'est juste superbe d'un bout à l'autre, malgré l'intervention récurrente de la 3D. Bien que Khara ne soit officiellement pas aussi expérimenté que GAINAX, on est à un seuil de qualité très élevé, rendu possible par une gestation de près de deux ans et la participation active de gros studios tels que Production IG. C'est souvent sublime, les personnages sont absolument somptueux, idem pour les imposantes Evas et comme promis on a à peu près 70% de storyboard inédit. La dernière partie du film, sorte de communion simultanément morbide et charnelle, vaut son pesant de cacachuètes - on est presque face à un clip. La qualité d'animation est quant à elle réjouissante, figurant sans encombre dans le haut du panier cette année, même si plusieurs styles sont perceptibles durant le long-métrage - je pense surtout à une séquence dans laquelle Misato bouge à la façon Kyoto Animation, ce qui est très inhabituel.
- la bande-son enfin se divise en trois catégories : les titres inédits, les titres remixés de la série et les titres remixés... de la comédie romantique [i]Kare Kano[/i]. Oui, dans son auguste paresse, Sagisu a choisi de réorchestrer des morceaux d'une autre série réalisée naguère par Anno, et le résultat est extrêmement destabilisant pour qui connaît l'anime et le contexte de l'époque. Les titres inédits quant à eux sont particulièrement riches en choeurs, scandés en anglais, qui confèrent une atmosphère de fin du monde aux confrontations. Le générique final est une version accoustique de "Beautiful World".
Vient la question qui intéresse sans doute le plus Gruicmaster : est-ce que c'est bien ?
Et c'est là que ma parole se mure dans l'ambivalence et l'indécision. J'ai beaucoup aimé le film, ils pouvaient difficilement faire trois fois mieux en voulant résumer dix épisodes d'un coup, et en même temps, je sais que de connaitre la série par coeur y fait, de même que j'ai été désarçonné par certains moments presque incongrus. On nous avait averti, ce n'est pas le même Evangelion. Et en même temps si... Disons, un Evangelion qui surjoue ce que la série aurait dû être si GAINAX en était resté à un format OVA et à des moyens financiers importants. Un Evangelion auquel il manquerait le génie d'une équipe devant faire le tout avec rien. La rencontre entre Shinji et Mari est par exemple d'une telle stupidité consommée, et le [BIIIP] de l'Eva-02 si excessif et gratuit que l'on ne sait exactement que penser : est-ce volontaire ? Autrement dit, est-ce qu'il y a une intention postmoderne ou auto-réflexive derrière, ou bien Anno étale-t-il sans fond aucun une mixture de type Otaku 2009 pour simplement moderniser sa chose dans une industrie changeante désormais inféodée à d'autres tendances ? Je ne peux répondre avec certitude à cette question pour le moment. J'ai cité le mot "Fanfic" quelques fois, pour situer un un film où tout le service est exponentiel et esquisse certains fantasmes de fans, tout en dupant le public ici et là. La seule chose que je puisse affirmer, c'est que beaucoup d'amateurs en ressortiront passablement blasés, car le but n'est pas de rempiler des caisses sur la profondeur et le propos de la série originale, mais apparemment, de mieux coller à ce que l'anime devait être à l'origine, lors de la conception de la première bible de la série en 1993. [b]Eva : 2.0[/b] articule des situations et des gimmicks qui s'ancrent plus que jamais dans une mécanique otaku, avec, comme on l'a soupçonné pour la série mais ici c'est manifeste, un calcul par anticipation de la réaction du secteur doujin, une incitation à la participation du public, bref une tentative d'émuler à l'intérieur de la culture... ce qui était un peu le cas des premiers épisodes quinze ans plus tôt. Il faudra que j'assiste à ça pour de 'vrai', dans des conditions d'appréciation fiables, pour exprimer une opinion durable et clarifiée.